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Chroniques

Les films de festival

par Helen Faradji

 

« Combien de temps il dure?

-Septante-deux minutes

Oh, c’est un bon film alors »

Dialogue volé entre deux journalistes belges

 

Toujours le ciel gris et plombant, toujours le froid humide, toujours les mêmes couloirs un rien vieillots du cinéma Eldorado, toujours les projections qui s’enchaînent à un rythme certes humain, mais drainant.

En compétition, Stéphane Lafleur a révélé au public local mi-amusé, mi-somnolent son Tu dors, Nicole tandis que la presse prenait de l’avance et pouvait se balader entre ces deux pôles de la francophonie, quand elle a le dos large, que sont la France et la Roumanie. Une balade de santé, oui, mais au cours de laquelle il semblait impossible de ne pas se poser la question: qu’est-ce qu’un film de festival?

Le cliché a la peau dure. Film de festival = film plate, long, confit dans son propre auteurisme que personne ne supporterait, sauf les snobinards qui n’aiment voir les films que par paquets de 12 dans la même journée avec le sentiment qu’ils sont bel et bien les plus privilégiés de la planète cinéma. Ou pour faire encore plus simple: film de festival = film que Vincent Guzzo haïrait

Le FIFF, en sa troisième journée, nous a obligé à renverser le cliché. Présenté dans la section Regards du Présent, Les Héritiers de Marie-Castille Mention Schaar n’a en effet rien d’un « film de festival ». Et tout d’un document pédagogique pour écoles en manque de substance, si les programmes étaient composés par des gens qui pensent que les enfants et adolescents sont des débiles légers facilement manipulables. Plantons le décor: une classe d’élèves turbulents, agressifs et mal dans leur peau à Créteil, en banlieue parisienne, une prof (Ariane Ascaride, rarement vue aussi peu convaincue) patiente et pleine d’abnégation, un concours organisé par l’État sur la présence d’enfants et d’adolescents dans le système concentrationnaire nazi et vogue la galère du conte inspirationnel dégoulinant de bons sentiments et d’amalgames douteux (rejeter les musulmans aujourd’hui, c’est comme…oui, ils osent), usant avec obscénité et grossièretés de la Shoah comme d’un exercice mémoriel pour aider nos pauvres canards boiteux à retrouver confiance en eux. Oui, c’est beau comme un roman de Marc Lévy, profond comme du cinéma passant à la télé le dimanche soir, riche comme les paroles d’une chanson de Céline. Film de festival, ces Héritiers, pourtant bien plus proche d’un Sister Act à vocation « sérieuse » que d’Entre les murs? On se permettra de douter.

Qu’est-on alors en droit d’attendre d’un film de festival? Qu’il provoque, qu’il dérange, qu’il suscite réflexion et redéfinition de son propre système de valeurs, de sa conception du cinéma? Assurément. Toto et ses soeurs, documentaire du roumain Alexander Nanau, en compétition officielle, y réussit sans nul doute. Un peu comme à Cannes cette année où Karen Yedaya avait véritablement divisé avec Loin de mon père, récit cru et frontal des abus qu’un père faisait subir à sa fille, Toto et ses soeurs ne peut laisser indifférent (même si le public critique ici, plus âgé et mou, n’a pas ces emportements homériques de la foule réunie à Cannes). Un petit garçon, Toto, donc, et ses deux soeurs laissés seuls dans un appartement d’une banlieue crasseuse roumaine, tandis que leur mère croupit en prison pour trafic de drogues. Le ballet des seringues et des shoots qui se poursuit dans l’appartement, à côté du gamin. Lui qui arrive en retard à l’école, faute de n’avoir pas assez dormi. Lui qui dort sur le canapé, couvert d’un manteau. Eux qui mangent du pâté directement dans une boîte de conserve ouverte avec un couteau. Etc, etc, etc… L’approche, empruntée au cinéma direct, n’épargne rien. Au point qu’elle dérange, qu’elle paraît vite odieuse et qu’elle force, par tant d’exploitation de la misère humaine, à poser la question des frontières du genre documentaire. Ou pour le demander autrement, devant de telles horreurs, à quel moment la simple et basique décence humaine devrait-elle faire lâcher la caméra et faire appeler les services sociaux?

Beaucoup moins problématique, ouvertement « film de festival » si tant est que l’on puisse redonner à cette expression un semblant de lustre, Le grand homme de Sarah Léonor a pour sa part épaté. Deux légionnaires, frères de sang et de combat, revenus à la vie civile, l’un tchétchène et sans papiers, bloc de virilité taiseuse et digne, retrouvant son fils, l’autre, blessé et incapable de vouloir autre chose qu’un retour aux rangs de la légion, spontané et émotif. Deux hommes (Jérémie Rénier, d’une force et d’une spontanéité hallucinantes, et l’acteur non-professionnel tchétchène Surho Sugaipov au charisme ténébreux inéluctable), un enfant, une transposition tout en symboles intelligents et rigoureux du mythe de Gilgamesh, notamment évoqué par une voix-off mixant avec singularité à cette approche ultra-naturaliste une dimension plus fabuleuse et surtout, un film de guerre retravaillé à rebrousse-poil du genre, refusant tout tumulte pour avancer avec patience et finesse au gré de plans d’une lisibilité absolue mais n’empêchant jamais le mystère ni la stimulation. Si Le grand homme illustre ce qu’est ou doit être un film de festival, à savoir une oeuvre cohérente et riche, mise en scène avec une netteté et une droiture absolue, attentive autant aux hommes qu’elle filme qu’aux spectateurs qui vont la regarder, multipliant les pistes de lecture sous son apparente simplicité, alors impossible de retenir un cri du coeur: vive les films de festival!

 

La bande-annonce des Héritiers

La bande-annonce de Toto et ses soeurs

La bande-annonce du Grand homme


7 octobre 2014