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Chroniques

Manoel de Oliveira 1908 – 2015

par Philippe Gajan

Ce texte a été publié originellement dans le numéro 163 de la revue 24 Images. Nous le republions en hommage à Manoel de Oliveira, disparu ce jeudi 2 avril 2015, à l’âge de 106 ans.

On associe, de nos jours, les qualificatifs de légèreté, de simplicité ou les catégories conte, fantaisie, divertimento, facétie même à l’œuvre de ce diable de cinéaste. Mais que s’est-il passé ? On parle quand même de celui qui, au siècle dernier, réalisa des monuments comme Mon cas, Le soulier de satin ou encore Non ou La vaine gloire de commander? Et que vient donc faire notre célèbre doyen dans cette liste qui se veut tournée vers demain ? Il aurait sans doute gagné le droit de se reposer, de trôner au sommet d’anthologies du temps passé. Mais à 104 ans, il continue à produire un film par année (le dernier en préparation se nomme L’église du diable... tout un programme). S’il faut déterminer un tournant dans l’œuvre de ce grand érudit amoureux de la littérature, du théâtre et plus largement du verbe, c’est peut-être du côté de Voyage au début du monde ou du merveilleusement tendre et doux Je reviens à la maison qu’il faut se tourner, seuls films qu’on pourrait considérer comme « testamentaires » (ou qu’on a considérés ainsi à l’époque). À partir de ce moment-là (2001), son œuvre effectivement « s’allège » et emprunte, dirait-on, le chemin des écoliers. Littéralement, il rentre à la maison et voyage au début du monde. Cet éternel inquiet qui sembla chercher Dieu ou quelque chose d’approchant toute sa vie, paraît avoir acquis une fascinante sérénité et un certain détachement. Car le cinéma d’Oliveira est bien resté celui des tourments de l’amour, qu’il soit divin ou charnel, avec des incursions du côté de l’histoire de son pays (ou de son bout de pays, n’oublions pas qu’il vient du documentaire). Mais désormais, même si la mort plane, il est de ceux capables de lui faire un pied de nez, car il est aujourd’hui d’une certaine façon plus libre que jamais. À ce titre, l’admirable Étrange affaire Angelica est exemplaire et très représentatif. Un scénario de 1952 à peine retouché, l’histoire d’un photographe qui tombe amoureux d’une jeune femme morte qu’il a photographiée et qui reprend vie, une chambre dont la fenêtre s’ouvre sur les paysages de son enfance: un film qui défie le temps et qui a vaincu la mort. Comme Oliveira.

 


2 avril 2015