Chroniques

“Marcello!”

par Robert Lévesque

S’agissant de La Dolce Vita, je ne peux m’empêcher de penser à A Streetcar Named Desire… Pourquoi ? Ces deux films, tournés aux extrémités des années 1950 (le Kazan en 1951, le Fellini en 1959), laissent, enregistrés dans mon souvenir, deux cris, deux appels de prénoms si sexualisés : Stanley Kowalski au pied d’un escalier, le t-shirt mouillé, l’animal en rut qui hurle « Stella ! » ; Sylvia, star scandinave s’étirant bras nus dans les eaux de la fontaine de Trevi qui lance en l’étirant, chatte en chaleur, « Marcello ! »… Sueur, chute d’eau, corps superbes, pectoraux, décolleté, désir et dolce… Mais je ne voudrais pas trop vous s’couer le coeur en rappelant que Brando est mort seul, obèse et ruiné, et qu’Anita Ekberg, clouée dans un fauteuil roulant, attend la mort dans un refuge public pour personnes âgées… La dura vita…

On ne reverra pas La Dolce Vita ce 2 mars sur TFO mais on pourra visionner à 20 heures un documentaire sur ce tournage et son époque; il s’agit d’une série de 13 rendez-vous proposés (nommés « Il  était une fois… » et tirés d’une collection dirigée par Antoine de Gaudemar et Serge July à l’enseigne de Folamour Productions) pour se familiariser avec la thématique et l’actualité d’un film saisi dans son temps. Ce 2 mars, on plonge dans Rome au temps du miracle économique et du concile d’il papa buono, des Vespa et des verres fumés (ceux de Mastroianni inspireront les cinéphiles du monde entier), des slogans publicitaires et des terrasses de la via Veneto, des chroniqueurs mondains et des premiers paparazzis. Au menu du docu, la matière de ce septième film de Federico Fellini qui, après avoir filmé le désoeuvrement des Vitelloni à Rimini, transplantait sa caméra (toujours tenue par Otello Martelli) dans la capitale de la douceur de vivre…, douceur décadente plus qu’heureuse, avec débauche et suicide d’un philosophe (Alain Cuny) à la clé, le titre (qui fera pourtant florès comme mode de vie idéal) jouant de cynisme puisque c’est l’inquiétude et le désespoir qui rampent sous cette soi-disant dolce vita…

Fellini a 39 ans lorsqu’il tourne cette insoutenable légèreté à la romaine qui remporte la Palme d’or à Cannes en 1960 (jury présidé par Simenon) après avoir soulevé un scandale à l’italienne, le Vatican sortant de ses gonds à cause, entre autres péchés visuels, de la scène où Anita Ekberg apparait travestie en cardinal. L’actrice suédoise a 27 ans, Mastroianni en écrivain raté qui joue le chroniqueur mondain en a 35 (mais c’est son quarante-neuvième film !), Anouk Aimée qui passe (un an avant Lola, trois ans avant Otto e mezzo, sept avant Un homme et une femme) n’a que 27 ans et, bourgeoise perverse si bellement campée, elle traverse l’écran dans la scène où, ayant incité son ami Marcello à raccompagner avec elle une péripatéticienne dans sa banlieue, elle fait l’amour avec lui (ô fleur du mal) dans la chambre sans confort de la prolétaire…

Un personnage, un simple badaud, dit à son comparse vers la fin du film : « D’ici 1965, la dépravation sera totale ». La Dolce Vita, dont la sortie était passée à un vote de la commission de censure du cinéma français d’être interdite dans l’Hexagone, est un film qui a marqué son époque et qui demeure l’un des chefs-d’œuvre universels du cinéma (avec à nos nez d’aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, un parfum encore pénétrant).

P.-s. : les autres « Il était une fois… » diffusés sur TFO concerneront Les enfants du paradis de Carné le 9 mars, Les parapluies de Cherbourg de Demy le 16, Notorious d’Hitchcock le 23, Mon oncle de Tati le 30, Le Mépris de Godard le 6 avril, Some Like It Hot de Billy Wilder le 13, Todo sobre mi madre d’Almodovar le 20 et Tess de Polanski le 27. Toujours à 20 heures.

La scène de la fontaine dans La Dolce Vita


28 février 2013