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Chroniques

Mommy : et si ?

par Robert Lévesque

La presse cinématographique québécoise, chauvine lorsqu’elle est à l’étranger, grégaire lorsqu’elle couvre un festival, a développé un mode de fonctionnement face au petit Mozart canadien de l’écran, l’auteur de J’ai tué ma mère… : le maternage. La question que je me pose au sujet de cette couverture médiatique locale de Mommy : que serait-il arrivé, madre de dios, si le film de Xavier Dolan, les vœux de tous exaucés, avait obtenu la Palme d’or à Cannes ?

On peut d’abord imaginer que, dans les minutes qui en auraient suivi l’annonce, le SAMU appelé d’urgence aurait filé pin-pon sur la Croisette pour venir prendre en charge l’envoyée spéciale du Devoir, Odile Tremblay – tante ou marraine du cinéaste, on ne sait plus –, gisant inconsciente au bas des marches du Palais…

À Montréal, rue Saint-Jacques, ne reculant devant rien, et sur l’insistance euphorique de son duo labellisé, le Cassivi-Lussier, la direction du quotidien La Presse aurait décidé d’imprimer dans la nuit de samedi à dimanche une édition spéciale – appelée évidemment à devenir illico une pièce de collection – qu’une bande de camelots aurait vendue à la criée dans le Quartier des spectacles, quartier que l’on rebaptiserait familièrement le Mommy square

Le soleil dominical à peine levé, la rumeur aurait couru depuis Radio-Canada jusqu’au réseau TVA et le 98.5 (aucun média – solidarité de fierté – n’en réclamant la primeur) que le premier ministre Couillard et son épouse, de même que la sœur de Françoise David qui est ministre de la culture, iraient serrer dans leurs bras le cher enfant, le plus jeune palmé d’or de l’histoire du festival de Cannes, dès sa descente d’avion sur le tarmac de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau…, une fanfare dirigée au pied levé par Gregory Charles jouant l’air d’Il a gagné ses épaulettes.

Surexcités et fédérés par le gazouillis nocturne des blogueurs de tous poils, des hordes d’abrutis n’ayant point vu cette Mommy palmé d’or (qu’à cela ne tienne) entreprendraient de vouer aux gémonies le critique Martin Bilodeau, ce pelé, ce galeux qui ose ne pas aimer Mommy et surtout l’écrire (comme la Manon Dumais d’ailleurs, qui a eu de petites réserves sur le chef-d’œuvre et qui aurait dû se les garder pour elle). Dès potron-minet, le lundi venu, la horde serait aux trousses des traîtres afin, une fois attrapés, d’exposer leurs corps strangulés en place Jacques-Cartier avant d’aller, la nuit venue, la foule dispersée, les jeter dans les eaux portuaires du Saint-Laurent…

Ce lundi 26 mai, qui entrerait dans l’histoire, se serait tenue une conférence de presse archi-courue à la Maison symphonique où, deux jours avant son inauguration, – mais que ne ferait-on pas pour notre cher palmé doré ? -, un grand air de couronnement du temps de Lulli et du Roi Soleil jaillirait du grand orgue Casavant tout neuf. Perdus dans la foule, on y verrait un Vincenzo Guzzo et au moins deux Anne-Marie Losique, une Ginette Reno et le maire Coderre fiers comme tout, Rufus Wainwright et Manon Massé main dans la main, le vieux Parizeau et sa Lisette poussant la roulante de PKP, Pauline Marois discrète dans sa première sortie publique. L’événement décrété national serait diffusé en direct sur Ici Radio Canada Télé, sur RDI et Télé Québec. Et puis l’on verrait enfin Xavier Dolan, en décalage horaire, mais rasséréné et d’apparence presque humble (plus mignon encore, commentera Cassivi le mardi qui suit), qui avouerait candidement ne pas se formaliser (! ? !) de cette célébrité soudaine… Le jeune prodige laisserait entendre alors à la meute plumitive miaulant de plaisir que rien n’est trop beau pour la classe ouvrière et qu’il allait bientôt s’envoler vers Hollywood où l’oncle Oscar n’avait qu’à bien se tenir. Assise à ses côtés, la comédienne Anne Dorval, très Sandrine Maxou, battrait des paupières quasiment à la vitesse du son…

Dans son édition du mercredi, le Devoir annoncerait la mort de sa critique de cinéma survenue en salle de réanimation à l’hôpital des Broussailles à Cannes. Xavier Dolan, fort abattu mais soudain expiatoire au bout du fil, avouerait au journaliste de service : j’ai tué ma mèreencore

Bref, mes chers lecteurs à qui on ne la fera pas, nous l’avons échappé belle puisque le gamin n’est revenu de Cannes qu’avec un prix du jury ex aequo avec le vieux Godard qui était absent pour la projection de son Adieu au langage… Je vais maintenant prendre des vacances far from the madding crowd

 

Un extrait de Mommy


29 mai 2014