Paolo Sorrentino
par Marcel Jean
Ce portrait fait partie d’un dossier spécial sur 100 cinéastes contemporains réalisé pour le numéro 163 de la revue. La version numérique de ce numéro est disponible en vente ici.
Paolo Sorrentino par Marcel Jean
« Une mise en scène exacerbée pour un monde grotesque, habité par des personnages tutoyant déjà la mort… »
Il y a d’abord, chez Sorrentino, l’affirmation ostentatoire de la préséance de la mise en scène. C’est d’ailleurs ce que plusieurs lui reprochent : ces grands gestes baroques, cette caméra mobile et virevoltante, ces envolées musicales tonitruantes… Les conséquences de l’amour, L’ami de la famille, Il divo, This Must Be the Place, La grande bellezza… L’approche est toujours la même… On la dit fellinienne… Pourquoi pas ? Comment peut-on être cinéaste italien et ne pas être, d’une manière ou d’une autre, fellinien… et viscontien… et pasolinien… et antonionien… ?
Sorrentino, c’est l’anti-naturaliste par excellence. Aux antipodes des Dardenne, de Cantet, de Kechiche… Un cinéma distancié par son constant recours a l’excès… En ce sens, un vrai cinéaste imprégné de culture catholique !
Une mise en scène exacerbée pour un monde grotesque, habité par des personnages tutoyant déja la mort : les personnages de Sorrentino sont vieillissants, souvent fourbes (L’ami de la famille ; Il divo) ou lâches (Les conséquences de l’amour ; La grande bellezza)… Le temps les presse… et le cinéma est un art du temps… et Sorrentino est un cinéaste… alors Sorrentino les presse avec sa caméra, il les traque, il les encercle, il bloque les issues…
Pourquoi Sorrentino aujourd’hui ? Pour sa foi dans le cinéma, donc, mais aussi et surtout pour la façon dont il scrute le monde actuel pour parler du cynisme (L’ami de la famille ; Il divo), du désabusement (La grande bellezza), de la rédemption (Les conséquences de l’amour ; This Must Be the Place).
Certains n’ont vu dans La grande bellezza qu’une révision nostalgique de La dolce vita. C’est négliger bien des aspects d’un film qui aborde la perte de sens, un film qui dit la perdition morale d’un pays en désignant la vacuité de sa classe dirigeante, qui se moque avec le même regard cinglant des imposteurs de l’art conceptuel, des prêtres du Botox et d’une Église qui prêche la pauvreté pour mieux profiter de la richesse.
Moraliste nouveau genre, Sorrentino parle du monde dans lequel nous vivons d’une voix d’une absolue singularité. Voila pourquoi il est un cinéaste avec lequel il faut compter. – Marcel Jean
21 janvier 2014