Retour sur le Moulin
par Marco de Blois
La dernière mouture du Moulin à images de Robert Lepage a pris fin ce dimanche 1er septembre. Alors que les éditions précédentes de cette projection architecturale sur les silos à grains du port de Québec étaient consacrées à l’histoire de la ville, Lepage a pris la décision, pour clore l’aventure commencée en 2008, de rendre un hommage à Norman McLaren. Le titre de cette édition ultime : Le Moulin à images – Hommage à Norman McLaren, pionnier du film d’animation.
Il faut comprendre ce qu’est le Moulin à images : une projection sur une surface d’une grandeur inouïe. Les silos à grains composent un écran de 30 mètres de hauteur et de 600 mètres de longueur (à titre de comparaison, un écran Imax standard a une longueur de 22 mètres). De plus, cet écran comporte plusieurs irrégularités, ce qui en accentue la singularité : ainsi, sa partie supérieure n’est pas rectiligne et sa surface n’est pas plane, présentant des renfoncements et des saillies. L’œuvre du Moulin doit être pensée et conçue en fonction de cette surface de projection.
Les silos à grain de la Bunge occupent une place imposante dans le paysage urbain de ce quartier de Québec. Si bien que le Moulin à images est très loin d’être un spectacle en retrait ou confidentiel. Coûteux, complexe, il est positionné par la Ville de Québec comme un événement touristique majeur. Robert Lepage a fait preuve d’audace en confiant à l’œuvre de McLaren de s’étendre dans un si vaste espace urbain, hors des salles de cinémathèques, des salles de cours et des sites internet.
Toute image projetée sur ces grandioses silos acquiert immédiatement un caractère ultra-spectaculaire. Par l’immensité de son dispositif et de son emplacement, le Moulin à images ne peut être ainsi pensé que sous l’angle du spectaculaire. Lepage en est nécessairement conscient, lui qui en est l’initiateur. Or, peut-être par respect pour l’auteur de Begone Dull Care de même que par souci de faire œuvre de pédagogie, Lepage semble avoir voulu défier l’inévitable fantasmagorie du Moulin en introduisant, d’une part, des éléments biographiques (d’une durée de 40 minutes, cet hommage suivait le parcours de McLaren, depuis sa naissance en Écosse jusqu’à son décès, s’appuyant parfois sur des surtitres explicatifs afin de préciser le contexte) et techniques (une partie du spectacle reprenait des images de Pen Point Percussion sur le son synthétique). Cette dernière mouture du moulin avait donc comme objectif de faire découvrir et comprendre une œuvre magistrale de même que le processus créatif de son créateur.
Les passages les plus convaincants étaient ceux consacrés à la production abstraite de McLaren, dont Synchromie et Begone Dull Care. Le Moulin devenait alors éblouissant et dynamique. En revanche, l’évocation de Il était une chaise fonctionnait moins bien, car le caractère narratif de ce film, peut être le moins graphiquement spectaculaire de l’œuvre de McLaren, était ici dissous dans une sorte de mixage visuel et sonore débouchant sur une interprétation un peu embrouillée de l’œuvre. Par ailleurs, le parcours biographique se révélait trop factuel et accéléré pour permettre une sorte d’identification au personnage, sans compter que le monumentalisme de l’installation rend difficile un rapport d’intimité entre le spectateur et le sujet. Quant à la technique du son synthétique, la brièveté de l’extrait de Pen Point Percussion apparaissait insuffisante pour la vulgariser réellement. Bref, peu importe l’angle par lequel on pouvait aborder ce Moulin, le résultat n’arrivait pas à satisfaire totalement aussi bien les touristes, dubitatifs devant l’œuvre d’un réalisateur qu’ils connaissent peu ou prou, que les cinéphiles qui, familiers avec le travail de McLaren, de demandaient qu’à être éblouis.
N’ayant pas assisté aux éditions précédentes du Moulin à images, il m’est impossible de formuler un comparatif. Toutefois, il était évident que le désir de Robert Lepage de rompre avec une tradition était ici très fort et cela est tout à son honneur. Les lignes qui précèdent ne doivent pas faire oublier que l’homme de théâtre n’a pas voulu faire dans la facilité et que son admiration de l’œuvre du réalisateur de Pas de deux est manifeste. McLaren est régulièrement considéré comme le père de l’animation canadienne. Il a ouvert le champ à une foule de possibles, il a élargi le spectre de l’animation. De son côté, la ville de Québec s’active à développer une industrie du multimédia dans laquelle l’animation occupe une place très importante. De plus, Québec est située dans le pays d’accueil du cinéaste, l’un des plus grands artistes canadiens du XXe siècle, dont on célèbrera en 2014 le 100e anniversaire de naissance. McLaren avait sa place dans la capitale.
Le Moulin à images connaîtra-t-il une seconde vie grâce à l’animation ? Pourquoi pas ?
Source de la photo : www.lapresse.ca
4 septembre 2013