Rétrospective André Forcier
par Marie-Claude Loiselle
UNE ŒUVRE FUNAMBULE
Du 11 septembre au 11 octobre 2013, la Cinémathèque québécoise présente, à l’occasion de son 50e anniversaire, une rétrospective intégrale de l’œuvre d’André Forcier. Depuis Chroniques labradoriennes en 1967, cette œuvre a fait exister des êtres et des lieux qui, aujourd’hui, font indissolublement partie de l’imaginaire québécois. C’est qu’il existe un monde de Forcier comme il en est un de Ducharme ou de Ferron, singulier, dense, dans lequel le territoire fantasmé n’est jamais une échappée hors du monde mais, au contraire, une « éclosion du réel », selon les mots du cinéaste : une manière de le révéler en le réinventant.
La galerie de personnages fantasques qui peuplent l’univers de Forcier forme une communauté qui n’a cessé de grandir jusqu’à ses plus récents films, Je me souviens et Coteau Rouge. Ces personnages habitent des lieux que leur présence transfigure : restos populaires, boîtes de nuit, maison de chambres, motels, club de boxe, tireshop, bowling, tente des « créatures » du parc Belmont, Rive-Sud de Montréal et son boulevard Taschereau ; autant de lieux que l’on ne peut plus jamais voir de la même manière dès lors que l’on a fréquenté le cinéma d’André Forcier. Il faut voir aussi comment au sein de cette communauté de personnages, toutes les excentricités sont acceptées et intégrées à un quotidien d’où la morosité semble chassée par la seule présence de toutes ces « anomalies » sociales. Colonels extravagants, tendres esseulés en quête d’amour ou d’amitié, artistes qui ne sont pas sans rappeler les forains d’autrefois, amoureux à la dérive, mais aussi ouvriers, mineurs, vagabonds que nous nous plaisons toujours à retrouver de film en film, car ils sont nés d’un regard unique, empreint de l’affection infinie que leur porte le cinéaste.
Mais ces personnages ne se seraient pas imprimés aussi fortement dans notre mémoire (et celle de notre cinématographie) s’ils n’étaient portés par tous ces comédiens dont certains sont aujourd’hui intimement associés à l’univers de Forcier : Guy L’Écuyer, Gaston Lepage, Tony Nardi, Michel Côté, Jean Lapointe, France Castel, Céline Bonnier, et bien d’autres. Dans cet univers qu’ils investissent tous sans mesure, un albinos aux allures de clochard excentrique, chevelure hirsute, accoutré d’un manteau de femme jaune canari, fraye avec des fiers-à-bras qui roulent la nuit sur les jantes de leurs vieilles « minounes » en faisant la loi dans le quartier (Au clair de la lune), un cyclope du parc Belmont est amoureux d’une femme à barbe qui ensorcèle les hommes (La comtesse de Baton Rouge), tout comme Florence, dans Une histoire inventée, traîne à sa suite un « essaim » d’hommes subjugués par les mélopées de sa voix quand elle fait l’amour. Chez Forcier, le surréel émane sans cesse du réel, comme le réalisme le plus décalé en vient à se confondre avec la banalité du quotidien. C’est ainsi que la jeune Amélie capture les chats pour les vendre au poids au cuisinier d’un restaurant chinois dans Bar Salon ou que les arnaques de Polo, le shylock de L’eau chaude l’eau frette, conduisent, dans une scène purement carnavalesque, au lynchage d’un pauvre hère sous le regard complice de fêtards repus. Et c’est toujours cette même manière de faire délirer le réel que l’on retrouvera plus récemment dans la rencontre explosive de Bob Garrigues (père d’un enfant sans ADN !) et du producteur Sturzberg dans Acapulco Gold, film totalement déjanté où la preuve (!) nous est faite qu’Elvis Presley n’est pas mort en 1977…
Dans ce cinéma tendre et baroque, la parodie côtoie la tragédie avec la plus folle liberté, le sublime émane à tout instant du grotesque et l’exaltation que soulèvent les passions amoureuses n’est jamais étrangère à la mélancolie. Chaque film d’André Forcier touche ainsi à une sorte d’absolu intemporel, plaçant dès lors l’amour, tout autant que les liens d’une communauté, au rang des plus grandes forces de ré-enchantement du monde. C’est ce que la rétrospective des quatorze films qui composent à ce jour sa filmographie, offerte par la Cinémathèque québécoise, nous permettra d’apprécier avec plus d’acuité encore.
Tous les détails sur le cycle Forcier, l’irréductible
11 septembre 2013