Rock Demers (1933-2021)
par Robert Daudelin
J’ai fait la connaissance de Rock Demers en mai 1963. Il était alors membre du comité d’organisation du Festival international du film de Montréal dont il allait assurer la direction l’année suivante ; le mois précédent, avec Guy L. Coté, Avram Garmaise, Jacques Giraldeau et quelques autres, il avait participé à la fondation de Connaissance du cinéma, qui allait devenir un peu plus tard la Cinémathèque québécoise – ce qu’il avait immédiatement imaginé dans un texte au ton militant, pour une cinémathèque canadienne…, publié dans la revue Objectif de décembre 1963.
Rock et moi avons fait équipe au FIFM jusqu’à son départ, après l’édition de 1967. C’était une collaboration harmonieuse, sans histoire. Nous partagions la même passion pour le cinéma. L’équipe étant réduite, il ne fallait pas compter son temps ; les budgets étant symboliques, il fallait être inventif. Le festival avait rapidement conquis un vaste public ; les salles affichaient toujours complet. Mais c’était un événement très montréalais. Rapidement Rock a eu l’idée de sortir de Montréal et les Semaines de cinéma international se sont succédées à Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Rimouski, même London et Moncton : Forman, Alio, Zeman et plusieurs autres se trouvaient un nouveau public. Et Rock insistait pour que chacune de ces Semaines inclût une matinée de films pour enfants : les Contes pour tous pointaient déjà le nez.
Au hasard des tournées de sélection que nous nous partagions – Rock se réservant toujours l’Europe de l’Est, Tchécoslovaquie en tête – il se familiarisait avec le cinéma spécifiquement produit pour un jeune public, gardait en tête des titres, multipliait les contacts : Faroun films était en gestation.
Le reste de l’histoire est bien connu : la distribution de films spécialisés, les clubs Faroun, un volet international, puis la production, d’abord un accident de parcours – histoire de sauver la production du Martien de Noël de Bernard Gosselin – qui permit pourtant la folle aventure des Contes pour tous.
On oublie trop souvent que, simultanément à l’immense aventure que fut Faroun films, Rock trouva le temps d’ouvrir deux salles art et essai dans l’édifice de la rue St-Paul qui logeait son équipe de distribution. Les cinéphiles purent y découvrir les nouveaux films de Tanner, Zanussi, Jancso, mais aussi ceux de Leduc et de Lefebvre.
Rock Demers était beaucoup plus qu’un producteur. Il adorait son métier et s’y était totalement investi. Il n’en continuait pas moins à lutter sur plusieurs autres fronts, à la Cinémathèque québécoise notamment dont il assura la présidence de 1980 à 1982, des années charnières, celles du déménagement boulevard de Maisonneuve et de la professionnalisation de l’équipe. Son attachement à la Cinémathèque était profond : il participait activement à toutes les assemblées générales et on pouvait toujours compter sur son appui combatif en cas de crises, et il y en eut plusieurs.
En janvier 2020, j’ai eu le plaisir de passer un après-midi avec Rock, dans son bureau de producteur, pour les besoins d’une entrevue qui fut publiée dans le numéro de 24 images consacré aux imaginaires du cinéma pour enfants. Rock n’avait pas changé d’un millimètre : il parlait de son intérêt pour le cinéma des jeunes publics avec le même enthousiasme que celui avec lequel il défendait les films pour enfants qu’il rapportait de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Bulgarie à l’époque du FIFM. Nous nous sommes revus un peu plus tard avec un petit groupe d’amis pour parler d’un projet de film sur Claude Jutra, ou, plus précisément sur « l’affaire Jutra ». Quelques semaines plus tard, nous étions coude à coude dans les bureaux du ministère de la Culture et des Communications pour défendre le Prix Albert Tessier. Officiellement, il avait pris sa retraite et avait vendu sa société de production ; il rêvait pourtant de produire encore un film et il parlait, avec enthousiasme, bien sûr, du livre d’un auteur Innu qui l’avait beaucoup intéressé…
Une fois enregistrée l’entrevue de janvier 2020, Rock avait insisté à me ramener chez moi dans sa grosse voiture. Spontanément on s’est mis à parler du Québec, de la vie culturelle à laquelle nous avions été mêlés l’un et l’autre, de la situation politique aussi et Rock m’a alors dit : « Mon vieux, si j’étais plus jeune, je m’inscrirais à Québec solidaire! » Il m’avait surpris une fois de plus ! Et c’est ce bout de conversation imprévisible que je vais désormais associer précieusement au souvenir de Rock Demers.
Image d’ouverture: Rock Demers / crédit: Elephant, mémoire du cinéma québécois
20 août 2021