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Chroniques

RONNIE MON AMIE.

par André Roy

Ronnie Scheib (1944-2015) était une critique de cinéma exceptionnelle. Je l’ai connue il y a presque trente ans grâce à Janine Euvrard-Halbreicht et Michel Euvrard. Elle venait régulièrement à Montréal — elle avait étudié le français à McGill — pour le Festival des films du monde. Elle y est revenue tous les ans jusqu’à l’année dernière, même si elle était découragée de voir se dégrader ce festival qui avait connu des jours extraordinaires. Elle écrivait depuis 2006 pour Variety, mais là aussi, était de plus en plus découragée par la politique éditoriale du magazine (articles courts requis, publications dans le Web sur les films d’auteur ou indépendants, etc.). Mais elle n’a jamais renoncé pour autant à ses exigences, comme celle de défendre un cinéma singulier qui plaçait la question de l’esthétique de l’œuvre à l’avant-plan et mettait en crise les limites à l’intérieur desquelles la majorité des cinéastes se placent et ne dérogent pour ainsi dire plus. Cette femme de gauche soutenait les films qui changeaient la carte du cinéma, et ce, dès qu’elle a commencé à écrire au début des années 1970, ouverte à la modernité, aux nouvelles cinématographies et aux réflexions théoriques sur le cinéma. Comment ne pouvais-je pas devenir son ami ? Elle m’accueillait toujours avec chaleur et générosité quand j’allais à New York, prodiguant des conseils et m’indiquant les films à ne pas rater dans les festivals qui y avaient lieu, et surtout nous discutions sans relâche, dans les restaurants asiatiques qu’elle préférait à tous les autres, des œuvres qu’on avait vues, aimées ou détestées. Comment ne pouvais-je pas devenir l’ami de celle qui admirait — jusqu’à en être hantée comme moi, — le cinéma de Jean-Luc Godard ? Et que dire de sa plume, de cette écriture qui me demandait plusieurs relectures (les traducteurs de ses textes pour 24 images, où elle a collaboré par deux fois, s’y sont cassé les dents) tant elle était complexe, riche, savante, rigoureuse, élégante, totalement subjective comme devrait être celle de tout critique ? Pour elle aussi, le cinéma était pensée, pensée sur le monde, « la philosophie par d’autres moyens » comme le dit Godard. J’en suis sûr, le cinéma nous aidait tous les deux, si étroitement complices, à regarder le réel et – pour indiquer combien on était loin du sectarisme avec elle – et à faire confiance à cet art du présent. Le cinéma était notre maison commune.

Le portrait de Ronnie Scheib par Variety: https://variety.com/2015/film/news/ronnie-scheib-variety-film-critic-dies-at-71-1201618265/

 


25 novembre 2015