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Chroniques

Scènes supprimées

par Rafaël Ouellet

Je ne suis pas un amateur de scènes supprimées. À l’époque du VHS, il y avait quelque chose d’excitant lorsqu’un film nous offrait quelques scènes coupées au montage. C’était une rareté. Je pense à Pulp Fiction entre autres qui offrait ce bonus, accompagné des explications de Tarantino sur ses choix de coupures. Depuis le DVD et l’arrivée d’internet, je n’en regarde plus. Ça tue la magie, selon moi. Ça affecte mon souvenir du film aussi; si je regarde les scènes coupées quelques minutes ou quelques heures après le visionnement du film, comme puis-je me souvenir quelques mois ou des années plus tard si ces scènes étaient dans le film ou pas?

Mais si je pouvais les lire…

Avec un budget modeste, il y a souvent des choix à faire au moment de la pré-production. Lorsque vient  le temps de confronter le nombre de de pages ou de scènes à tourner au nombre de jours prévu à l’horaire, plusieurs choses entrent en ligne de compte. La réalité financière de cet art nous rattrape rapidement. Par exemple, Jacob Tierney qui joue le personnage de Jacob (un hasard, ou presque!) n’était pas disponible lors de notre journée «Appartement Samuel, appartement Manu et scènes extérieurs Montréal». Il demeurait important que Samuel croit que Manu et Jacob se fréquentent en dehors du travail, qu’on sente aussi un brin de jalousie. J’ai donc décidé de faire passer cette information (Elle et Jacob qui débarquent ensemble) dans le dialogue d’une scène entre Samuel et Manu. Avec le recul, cette coupe a aidé le rythme du film. Elle m’a évité de passer trop de temps à l’extérieur de la véritable quête de Samuel (Patrice Dubois).

J’avais imaginé le personnage de Alain (Stéphane Breton) qui allait faire des paris aux courses de chevaux, pour lui, mais aussi pour des «clients» qui ne pouvaient s’y rendre. Nous avions choisi la ville du motel d’Alain en fonction des courses qui se déroulaient en octobre dans l’est du Canada. Et elles sont rares. Nous avions également choisi les dates de tournage de notre séjour au Nouveau-Brunswick en fonction de cette journée de course. Une journée qui a dicté notre calendrier dans son ensemble, de Montréal à Dégelis. J’avais même ajouté des scènes: Alain achète ses billets de pari. Alain appelle un client pour prendre ses prédictions. Alain félicite un jockey en coulisse. Nous avons tout tourné, c’était très riche visuellement. De belles scènes, originales, crédibles et parfois même amusantes. Mais une fois en montage, deux problèmes: ce segment ralentissait l’intrigue, nous éloignait de Germain (Julien Poulin) et Samuel. Et comme il n’y avait rien dans le scénario à montrer/monter en parallèle, cela créait un problème de rythme. Et deuxièmement, cette facette d’Alain le rendait soudainement moins sympathique, moins bon enfant. Par la suite, ses actions et ses mensonges étaient teintés par son petit côté racaille. Un gros 6 minutes que j’ai coupé en deux clics de souris. Sans aucun regret.

La veille du tournage, j’ai trouvé ces phrases à propos des «good guys» un peu pompeuses. À ce moment nous avions plus de 90% du tournage d’effectué, je trouvais que ce type de sentiment n’avait pas sa place dans le film. Le matin, j’ai annoncé à l’équipe que cette scène était supprimée. Nous avons pu tourner quelques plans de plus. Qui n’ont pas tous servi, bien sûr!

J’ai enlevé cette référence à Un zoo la nuit parce que ça devenait une référence de trop, une référence par-dessus une autre. Celle de Deliverance était bien suffisante. Pour ceux qui l’ont pigée.

 


16 mars 2015