Seul ou à deux
par Helen Faradji
L’un des plus grands plaisirs d’assister à un festival reste encore celui de faire des liens. De relier les fils d’oeuvres que seuls des choix de programmation auront placé côte à côte, parfois au petit bonheur la chance, De faire fonctionner ensemble des films qui, pourtant, a priori n’avaient rien pour se rencontrer
Les cas de Terre Battue, premier long du belge Stéphane Demoustier (choisi comme film de clôture par le Festival International du Film Francophone de Namur) et de Ceci n’est pas un polar, premier long du québécois Patrick Gazé présenté ici en première mondiale, étonnent. Sur le fond, on ne saurait faire plus différent, le premier suivant les tribulations d’un père de famille mis au chômage à 50 ans, déterminé à s’en sortir mais oubliant, par son propre égocentrisme, de servir de modèle à son fils aspirant champion de tennis, le second celles d’un chauffeur de taxi solitaire et taciturne tombant sous le charme d’une de ses clientes mais se mettant bien vite à la soupçonner d’avoir agressé un autre homme. Sur la forme, même dichotomie: le premier épousant la forme naturaliste /caméra à l’épaule discrète / éclairage sans effets d’un certain cinéma belge (oui, le film est produit par les Dardenne et cela se voit), le second travaillant davantage ses ambiances nocturnes (le polar, même s’il n’en est pas un, est évoqué jusque dans le titre), et multipliant les teintes ocres, jaunes et marrons sur un montage relativement dynamique.
Alors quoi? Où faire la jonction? Dans la façon, et c’est surprenant, qu’ont les deux films, qu’un océan et tant d’autres choses séparent, de tout miser sur leur personnage / acteur principal. Olivier Gourmet vs Roy Dupuis, le match a du nerf, les deux hommes faisant preuve, chacun à leur manière, d’un charisme incroyable, habitant l’écran d’une présence instable, flirtant avec la folie, pour le premier, et taiseuse, toute en colère rentrée et en souffrance à réparer pour le second. Deux acteurs qui fascinent, évidemment, mais autour desquels le belge comme le québécois semblent avoir oublié de construire leurs films. Car dans les deux cas, devant ces deux hommes sacrificiels, reste le sentiment de films qui ne parviennent jamais à donner de la chair et de la substance à leurs récits, incapables de réellement propulser le spectateur dans leurs coeurs, laissant voir leurs coutures et leurs remplissages, diablement apparents derrière ces héroïsations un rien sommaires d’acteurs dont l’on savait déjà les épaules assez solides pour tout porter.
Deux films trop limpides dans leurs développements et leurs intentions qui, malgré eux, viennent alors mettre en relief l’une des grandes forces de l’autre surprise québécoise de cette fin de parcours namuroise. Prix du meilleur film canadien au dernier festival de Toronto, Félix et Meira de Maxime Giroux a en effet cette grande intelligence de savoir préserver le mystère. Celui de l’univers juif hassidique montréalais d’abord, qu’il arpente avec finesse, par touches nuancées et songées, sans tentation socio-anthropologique déplacée, malgré une mise en scène toujours coincée par ses tics auteuristes (direction photo manquant d’assurance, lenteur un rien compassée…). Mais celui aussi de l’histoire d’amour impossible entre une jeune mère de famille de ce milieu (émouvante Hadas Yaron) et un héritier québécois sans grande attache (surprenant Martin Dubreuil) ne s’alourdissant d’aucune facilité sentimentale ou autre tentation fleur bleue. Discret, pudique, Félix et Meira touche alors à l’impalpable, au délicat, au plus précieux. Et c’est encore, preuve en est à nouveau faite, lorsque le cinéma sait préserver les secrets qu’il est le plus touchant, le plus authentique.
Tombouctou, Mommy, Félix et Meira? C’est ce soir que le jury départagera les choses en remettant son Bayard d’or. De notre côté, le choix est déjà fait
Un extrait de Terre Battue
La bande-annonce de Ceci n’est pas un polar
La bande-annonce de Félix et Meira
10 octobre 2014