Chroniques

The sisters are coming

par Robert Lévesque

Un observateur, tout effréné qu’il soit, ne saurait parler d’une menace, mais le fait est que les bonnes sœurs rappliquent. Je ne parle pas de sœur Angèle et de sœur Marie-Paul Ross, ces deux chairs à talk-show, l’une maître-queux et l’autre sexologue, pensez donc…! De la casserole à la zigounette, ma foi, c’est le cuit et le cru que tapotent allègrement ces servantes du bon Dieu qui devront à leur dernier jour répondre de ces vocations déviantes, mais de cela on se fout éperdument…

Non, les bonnes sœurs qui cognent à nos portes de cinéphiles sont les plus humbles et les torturées, les sans-grades, les si dévouées, nos voilées d’antan, qu’elles soient saintes ou pécheresses, et même celles qui auraient voulu être une artiste… : c’est avec le cœur sur la main et la main sur l’épaule qu’elles nous reviennent ; et on se demande s’il n’y a pas là un effet purement évasif de la maudite charte du caporal Drainville.

Jadis des cinéastes d’ici s’étaient penchés sur elles, nos nonnes à nous, Pierre Patry en 1959 avec Les petites sœurs et Diane Létourneau en 1979 avec Les servantes du bon Dieu. Vingt ans séparaient les deux services religieux ; mais voilà qu’en 2014, trois films de sœurs abordent en formation nos côtes et (si l’on n’y prend garde) vont vouloir scruter nos consciences. Déjà Micheline Lanctôt, à qui je ne donnerais pourtant pas le bon Dieu sans confession, nous a montré jusqu’où des femmes pouvaient mouiller Pour l’amour de Dieu (vous verrez ça le 19 avril à 23h10 – à dix minutes de Pâques ! – sur Radio-Canada), un film où l’amour à trois flammes (un Dominicain, une sœur enseignante et une couventine) pouvait s’allumer dans la grande noirceur, mais le film – ite cinema est – est aussi ennuyeux qu’une messe basse.

Dans le dossier de presse de Les discrètes, un film d’Hélène Choquette portant sur la communauté des Sœurs de la Providence (qui sort à l’Excentris en plein mois de Marie, dès le 16), je lis, mis en exergue, l’étrange phrase suivante dont on ne nous dit pas qui l’aurait prononcée : « La meilleure façon d’aller au ciel, c’est de s’accrocher au voile d’une sœur ». Ces sœurs-là ne portant plus le voile depuis belle lurette, j’y vois une belle enflure de la direction des communications, mais c’est à tout le moins une publicité trompeuse… Sœurs de rue, travailleuses de la foi comme les travailleuses du sexe, ces religieuses discrètes, mais pas vraiment habillées comme tout le monde (même si elles le pensent), font leur tapin autour de la place Émilie-Gamelin, nommée ainsi en souvenir de leur fondatrice qui s’appelait Mme Émilie Tavernier avant que son mari et ses trois enfants meurent et qu’elle se mette enfin à penser aux autres. Ses filles d’aujourd’hui ont 85 ans comme moyenne d’âge, mais on me dit qu’elles pognent encore dans les franges les plus démunies de notre société. Il faudra se signer, sans doute, en sortant de l’Excentris, ce qui n’est pas la coutume…

Et voilà que Léa Pool, délaissant les marges obscures du saphisme de bon goût et celles plus colorées du monde des papillons, se penche à son tour sur les chères religieuses d’hier. Ce sera (car on n’en est qu’au tournage) La passion d’Augustine. Une passion pas qu’éducative qui liera une mère supérieure à sa nièce. Rassurons-nous, il semble que ce film sur une passion musicale qui éclot dans une école dirigée par des bonnes sœurs en 1968 sera réussi car, si l’on en croit le journaliste André Duchesne de La Presse qui s’est rendu à Saint-Ours, là où Pool tourne dans la chapelle d’un petit couvent (ce qui la change des trains et des hôtels), « Il y a quelque chose de lumineux, de constructif, de combatif dans La passion d’Augustine ». Ce Duchesne, fin limier de la critique, m’étonnera toujours ; il serait donc devenu avec le temps un visionnaire, un éclaireur ? Ce film est lumineux ? Constructif ? Combatif ? Diantre. Irons-nous le voir en salle, ou attendrons-nous qu’il passe un soir à la télé ?

Joyeuses Pâques !


17 avril 2014