Who is Dayani Cristal?
par Céline Gobert
LES INVISIBLES
Désert de Sonora, Arizona. Un cadavre est retrouvé par la police des frontières. Au départ, seul un tatouage sur son torse pourrait permettre de l’identifier: Dayani Cristal. Nom d’un gang ? Surnom du défunt ? « Mais qui est cet homme ? », interroge d’emblée le film dans un titre en forme de whodunit trompeur. Chipant les codes d’ouverture des films à suspense à l’américaine, Who is Dayani Cristal ? n’a cependant rien d’une fiction. Filmé par Marc Silver et produit par Gael Garcia Bernal, ce documentaire sobre et ambitieux, qui se dévoile par petites touches, interroge les consciences quant au vrai visage de la migration clandestine. Derrière les crânes humains retrouvés en terres arides, derrière les étiquettes qu’ont à leurs pieds les corps froids de la morgue de Pima County, derrière les John Doe anonymes qui décèdent par milliers chaque année en tentant de franchir la frontière américaine, se cachent des hommes, des pères, des fils, et des histoires. C’est l’une de ces histoires (poignantes) – celle de Dilcy Yohan Sandres, décédé à quelques 3000 kilomètres de chez lui – qu’ont choisi de narrer les cinéastes. Armés de leur caméra, Silver et Bernal s’intéressent à l’humain derrière les chiffres (200 corps retrouvés tous les ans à l’été dans ce seul désert), et s’attachent à déterrer la vérité, au-delà des discours politiques réducteurs (voire haineux), des a priori, des idées toutes faites sur les migrants clandestins et illégaux. Et, si le film est aussi fort – dans la forme et le fond – c’est parce qu’ils l’ont bâti intelligemment, avec humanisme mais sans pathos.
Pourquoi ces hommes choisissent-ils de quitter leur famille et origines pour atteindre ce qu’ils appellent la Terre promise ? Quelles motivations les poussent à risquer leurs vies, les économies d’une vie au fond des poches, pour poser le pied aux Etats-Unis ? Afin de les comprendre et de se mettre dans leur peau, Bernal marche sur les pas du défunt. De l’Honduras, dont Dilcy Yohan était originaire, au Mexique, et en passant par le Guatemala, l’acteur croise la route de nombreux autres migrants, tous en quête d’un avenir meilleur pour leurs femmes et enfants. Il leur offre une véritable identité à l’écran. Une voix chantonne. Des yeux espèrent. Les mains sont fatiguées. « Les migrants, ces héros » : voilà, aussi, comment aurait pu s’appeler le film. Ce n’est pas un hasard si Silver et Bernal ouvrent d’ailleurs sur une prière, « The Migrant’s prayer », parallélisant la migration de Jésus, du Ciel à la Terre, avec celles de ces martyrs modernes, papillons sacrifiés, brûlés aux mirages de l’American Dream. Les élever au rang d’icônes : une manière de leur redonner dignité, respect, considération. Tout ce dont ils sont le plus souvent privés dans l’inconscient collectif et dans les médias de masse. Une façon, en outre, de rappeler qu’avant que le gros mot « illégalité » ne leur soit collé sur le front, leur migration constituait surtout une forme de résistance, de non-résignation, de lutte positive pour un mieux, pour les siens.
Formellement, le cheminement vers cette (belle) vérité lancée au monde est lumineux : les paysages de l’Amérique du Sud sont magnifiés dans une succession de plans-tableaux époustouflants, les chagrins, espérances, deuils, douleurs des hommes et des femmes du récit sont filmés, appréhendés, avec pudeur et grande estime. Le film n’a pas volé son prix de la meilleure photo à Sundance cette année. Sur une partition discrète de Leonardo Heiblum et Jacobo Lieberman, le film trouve son climax humaniste dans un lieu peu commun : le toit d’un train que l’on nomme « La Bestia ». Sur le dangereux trajet d’Arriaga à Ixtepec, les cinéastes y trouvent bonne compagnie, fraternité, chaleur humaine, espoir. On est bien loin des faits-divers des journaux. On est bien loin des numéros de dossiers ou de visas. Le défi qu’ils s’étaient tous deux lancés – soit aller au delà des débats socio-politiques sur le sujet – est relevé haut la main. Comme le rappelle l’une des enquêtrices du bureau médical de Tucson, chargée de retrouver l’identité perdue et gommée des migrants décédés, il est important – sinon nécessaire – de ne pas oublier que sous les statistiques, il y avait des rêves. Derrière chaque cadavre anonyme, une vie d’homme et une famille. Et, parfois même derrière un tattoo mystérieux, le nom d’une petite fille, à qui, toujours, manquera son père.
Who is Dayani Cristal ? sera projeté samedi 23 novembre dans le cadre des RIDM à 15h à l’Impérial, et le dimanche 24 novembre à 11H à l’Excentris. A noter également que l’acteur et producteur Gael Garcia Bernal donnera une conférence vendredi 22 à la John Molson School of Business de l’Université Concordia.
Un extrait de Who is Dayani Cristal ?
21 novembre 2013