12
Nikita Mikhalkov
par Helen Faradji
Nikita Mikhalkov (Les yeux noirs, Urga, Soleil Trompeur) n’est pas, et n’a jamais été, un cinéaste subtil. À la rigueur, peu importe. On pourra bien admirer sa précieuse naïveté d’étudiant aux beaux-arts s’extasiant devant la nature fascinante ou sa fraîcheur de rosière qui regarde les hommes aller avec une tendresse non dissimulée. Avec un peu de bonne volonté, l’élan empathique pourra même contaminer le spectateur bienveillant, comme il a su emporter l’adhésion des membres du festival de Venise qui lui ont remis un lion d’or d’honneur il y a 2 ans. Reste que l’indulgence a ses limites et qu’on peut même lui donner un nom : 12, relecture par Mikhalkov du 12 hommes en colère de Sidney Lumet, réalisé en 1957, qui franchement n’en demandait pas tant.
L’histoire est aussi simple qu’universelle : 12 hommes formant un jury sont enfermés dans une pièce pour atteindre un verdict dans une affaire de meurtre. L’affaire semble sans noeud, tous les jurés paraissant convaincus de la culpabilité de l’accusé. Tous? Non. Par amour de l’argumentation, l’un d’eux résiste. S’en suivront des heures de discussion pendant lesquelles chacun se dévoilera peu à peu.
Chez Lumet (bon dieu qu’il manque), l’accusé était latino, le boulon qui grinçait s’appelait Henry Fonda et le film devenait peut-être l’un des plus grands jamais réalisé sur l’idée même de justice. Celle-là même qui n’a en principe ni yeux, ni visage et qui, d’un coup, venait s’incarner pour révéler toutes ses imperfections, toute son humanité. Précise et ingénieuse, la mise en scène de Lumet y enfermait de plus en plus les jurés, transformant littéralement la pièce en cocotte-minute où pouvaient s’observer au microscope les réflexes d’une société forcée à penser. L’effet était grandiose. Chez Mikhalkov, la recette ne prend pas, métamorphosant l’aérienne réflexion en baba russe surchargé.
Transformant l’accusé en jeune homme tchétchène et fourmillant de références au fonctionnement de la société russe d’aujourd’hui (la salle de délibérations sera un gymnase de collège, le tribunal étant en travaux ), le film délaisse en effet le général pour s’abîmer dans quelques particularismes plus banals. Mais c’est surtout sa mise en scène qui ne supporte pas la comparaison. Tape-à-l’il, grandiloquente (il faut voir cette scène d’ouverture évoquant le meurtre à la manière léchée d’un film d’anticipation éclairé au phosphore), elle accumule les effets de style en créant artificiellement une tension de thriller mal adaptée ou en ajoutant quelques lignes musicales toutes en lourdeur. Sublime, le scénario respire alors à peine sous cet amas formel au symbolisme fleur bleue, à la fois trop appuyé et manquant singulièrement de personnalité. Dommage, les acteurs russes au demeurant d’un naturel et d’un charisme exceptionnels (Mikhalkov se payant aussi le luxe d’y figurer) méritaient mieux. La sublime leçon d’humanité sur les notions de conscience collective et de responsabilité individuelle que nous offrait le film de Lumet aussi.
19 mars 2009