12h08 à l’est de Bucarest
Corneliu Porumboiu
par Géraldine Pompon
Le jour se lève péniblement sur les rues blafardes d’une petite ville de province roumaine, en même temps que l’éclairage municipal s’éteint au rythme des plans fixes qui claquent comme des doigts. C’est bientôt Noël, les sapins sont des monstres, les enfants exaspèrent les grandes personnes avec leurs pétards, la neige n’est pas là pour maquiller le teint gris de la ville, le père Noël se rachète un costume bon marché chez le Chinois, et la Roumanie panse encore ses vieilles blessures.
La télévision tousse, crachote et annonce une émission spéciale consacrée aux seize ans de la révolution avec pour problématique : la ville a-t-elle réellement participé à la révolution? C’est toujours mieux que de parler d’inflation ou de films de musique folklorique, soupire Jderescu, le chef de la télévision locale! Le débat se désorganise autour d’invités de secours : Piscosi, le vieil homme qui aime se déguiser en père Noël et Manescu, un prof d’histoire ivrogne et criblé de dettes. Fou ou audacieux, Corneliu Porumboiu nourrit son film de quarante minutes d’un débat télévisé qui tourne aussitôt au désastre et à une petite merveille d’humour et d’humanité. Piscosi, construit des cocottes en papiers pendant que son acolyte se fait froidement descendre par les appels de téléspectateurs délateurs, qui assassinent à coup d’insultes son fantasme révolutionnaire.
Jouant sur le contrepoint, un montage des plus astucieux interroge la notion de point de vue et crache sur la pensée unique. D’incroyables séquences constituées chacune d’un seul plan fixe laissent les personnages traverser le cadre en toute liberté jusqu’à la rupture, celle du débat, où la caméra, devenue un il de télévision, zoome avec fébrilité, recadre et découpe à outrance pour mieux isoler ceux qu’elle ne regarde plus que pour les condamner. Pendant ce temps moche des reproches, Corneliu Porumboiu filme la grande Histoire avec une minuscule et la libère des prétentions allégoriques du mythe de la caverne de Platon – cité avec grande maladresse en introduction d’émission par l’animateur – pour laisser remonter les rêves, les mensonges et les ombres floues qui font les vérités de chacun. Il replace l’humain au centre pour en saisir, sans jugement moral mais avec flegme et autodérision, ses moindres faiblesses et résistances aussi minables qu’attachantes.
Ce premier long métrage fauché, sponsorisé par une marque de pâtes roumaines et de produits laitiers, encensé par la critique et auréolé de la Caméra d’or au festival de Cannes, s’allume calme et beau comme le souvenir de la révolution.
15 novembre 2007