13 Tzameti
Gela Babluani
par Helen Faradji
« C’est formidable d’avoir 22 ans » dira un personnage au jeune Sébastien qui, de réparateur de toit près de la mer, se retrouvera plongé dans un jeu dont la cruauté n’égale que le sadisme. Formidable? Vraiment? Difficile à croire dans ce film.
Étrange proposition en effet que celle de ce 13 Tzameti, première réalisation du jeune Gela Babluani, lion du futur au festival de Venise 2005, grand prix du jury au festival de Sundance 2006 et présenté au dernier Festival du Nouveau Cinéma de Montréal. Étrange d’abord de voir un réalisateur de 27 ans au regard si cynique, si désespérément noir sur son monde. Étrange ensuite de se laisser happer, presque malgré nous, par cette fable vénéneuse aux allures de choc visuel.
Car de ce film, on ressort poisseux, écrasé, comme au bord de la nausée. Évidemment, il est impossible ici de dénouer les fils du suspense tant ceux-ci sont la véritable épine dorsale surprenante du film. Mais l’on aura tout de même le droit d’en évoquer la morale mortifère, maladroitement douteuse.
Pourtant, il faut le reconnaître, le cinéaste sait resserrer avec brio les mailles de son filet pervers. Et c’est bien ce qui dérange. Car si l’on aimerait pouvoir détacher les yeux de l’implacable mécanique de la sordide cruauté du propos, on ne le peut. Petite arnaque du suspense auquel on ne cesse de se laisser prendre.
Il faut dire aussi que plusieurs belles ombres planent sur ce 13 Tzameti. Celles, en premier lieu, du bon vieil expressionnisme et des recherches soviétiques sur la puissance de l’image. Noir et blanc découpé et graphique, contrastes, ombres et lumières, sécheresse du regard, Babluani, fort de ses origines slaves (son père est le cinéaste géorgien Temur Babluani, auteur entre autres du Soleil des Veilleurs), fait macérer son récit dans un bouillon de culture formel assez impressionnant. Ombre, ensuite, de Melville et de ses films peuplés de trognes patibulaires, de voyous secs, à l’ancienne, aux émotions quasiment blanches. Du « héros » (George Babluani, le propre frère du réalisateur) aux immondes organisateurs du jeu, tous les personnages de ce film semblent en effet marcher dans des traces assez bien balisées. Sauf que.
Sauf que Babluani les fait dévier, les emmenant plutôt sur le chemin d’un néo-polar glaçant, écrasant, pesant dans lequel les corps flanchent moins vite que les âmes. L’expérience a la netteté d’un coup de scalpel particulièrement dérangeant.
16 février 2007