20th Century Women
Mike Mills
par Elijah Baron
Plus de six ans après le touchant Beginners, un film très personnel sur son père, qui n’avait avoué son homosexualité qu’à l’âge de 75 ans, Mike Mills poursuit sa démarche semi-autobiographique. Dans 20th Century Women, il retourne au cœur d’un été de son adolescence afin de rendre hommage à sa mère et à d’autres femmes de sa vie. Il est fascinant d’observer la façon dont le cinéaste construit ses personnages, parfois le temps d’un raccord, d’une réplique, d’un regard. Sans recourir à une intrigue en tant que telle, il parvient ainsi d’emblée à cerner la nature même des individus formant la communauté qui nous est présentée. Le but n’est pas de leur faire vivre une suite de péripéties, mais plutôt d’observer leur quotidien, de les mettre à nu, de s’interroger sur leurs origines et de méditer sur leur avenir. On reconnaît là l’esprit qui animait Radio Days de Woody Allen, un autre film kaléidoscopique qui explorait, avec humour et nostalgie, l’époque de la jeune adolescence de l’auteur.
Comme Mills n’hésite jamais à mettre l’accent sur ce qui est universel, à replacer les éléments du film dans leur contexte historique et culturel ou à donner la parole à ses personnages, son œuvre suscite un intérêt immédiat et ne cesse d’étonner par la justesse de ses observations et la sagesse de son approche. En surface, il s’agit d’une série d’anecdotes qui se succèdent, encadrées par des réminiscences et des réflexions sur le temps et l’identité, deux thèmes préfigurés par le titre. Mills fait de son film une sorte d’album dans lequel il collectionne photos, citations littéraires, fragments de films et de vidéos historiques, le tout afin de créer une vue d’ensemble de l’environnement socioculturel dans lequel évoluent ses personnages. Nous sommes à Santa Barbara au cours de l’été 1979 et cette époque, remémorée avec tendresse et recréée au détail près, représente pour le jeune Jamie (Lucas Jade Zumann) une sorte de paradis perdu. L’adolescence est un temps de découverte que l’on ne vit réellement qu’une seule fois, et dont on ne sait pas encore que son souvenir nous suivra à jamais. Le temps semble alors figé, les possibilités infinies. Bien sûr, il n’en est rien, et les personnages s’adressent parfois à nous du futur pour nous le rappeler, mais l’illusion est irrésistible.
Un gouffre générationnel sépare toutefois Jamie de sa mère, Dorothea (Annette Bening, meilleure que jamais). « Elle est de la Dépression », se plaît-il à répéter, comme si cela expliquait tout. Il s’agit quand même d’un début de réponse. Car qui sommes-nous, sinon la somme de nos expériences vécues ? Dans ce film, Mills scrute avec une curiosité d’anthropologue le passé de ses personnages, cherchant dans les images d’archives de la Seconde Guerre mondiale le moyen de comprendre sa mère, tout comme dans Beginners, il cherchait dans le ciel étoilé de 1955 une façon de se rapprocher de son père. Le message semble être le suivant : notre identité est intimement liée à notre époque. Notre milieu nous transforme, nous sculpte, nous nourrit à travers ceux qui nous entourent, les livres qui nous enseignent un mode de pensée, la musique qui nous impose un rythme spécifique. C’est habituellement durant nos années de jeunesse que prend forme cette identité que nous transporterons à travers les années, en voyageurs du temps.
Incapable de se reconnaître dans la génération de son fils, Dorothea cherche à le comprendre en l’analysant en tant que représentant de la gent masculine. « Je ne suis pas tous les hommes. Je suis moi-même », proteste-t-il. La réponse de sa mère introduit un nouveau paradoxe : « Oui et non ». Comment accepter que nous puissions être à la fois uniques et identiques aux autres ? Dans le contexte de l’éducation d’un jeune homme prodiguée par trois femmes de diverses générations, il n’est pas étonnant que le film questionne aussi les différences entre les sexes, abordant ouvertement, avec une candeur et un humour admirables, la question de la sexualité féminine. On n’entend pas souvent parler de contraception dans le cinéma américain grand public, de menstruation encore moins, et Mills aborde ici franchement ces notions qui concernent après tout le quotidien de la majorité. Il en ressort un sentiment de solidarité humaine, d’empathie pour les expériences de vie que l’autre sexe ne sera jamais en mesure de comprendre pleinement.
C’est cette impossibilité d’une compréhension complète entre une mère et un fils, malgré un désir mutuel de se connaître, qui se trouve au cœur du film. La scène dans laquelle Dorothea admet cette difficulté est bouleversante, car elle met en lumière les limites inhérentes à toute relation parentale. De manière générale, les personnages de Mills expriment leurs pensées formidablement bien, mais lorsque les mots ne suffisent plus, ils dansent. Tantôt ce sont les vieux qui dansent sur la musique des jeunes, tantôt c’est l’inverse, et ces séquences sont dotées d’une vitalité et d’une harmonie toutes particulières, mais aussi d’une forme de révolte qui résonne dans l’ensemble du film. 20th Century Women mène une révolte contre le temps, l’étirant, le détournant et faisant parler, danser, revivre les morts afin de leur offrir un dernier moment de liberté.
La bande annonce de 20th Century Women
17 février 2017