Critiques

A Girl Walks Home Alone at Night

Ana Lily Amirpour

par Helen Faradji

À Bad City… on dirait le début d’une chanson folk rugueuse. Une de ces chansons entonnées la voix pleine de gravats et de fumée de cigarette. Une de ces chansons qui disent le vice et la misère d’être homme. Une de ces chansons qui immédiatement appellent des images.

Le premier film de la jeune surdouée iranienne Ana Lily Amirpour, présenté à Sundance, Deauville, Montréal…, est de ces films qui dès leur premier plan assument pleinement leur ancrage artistique. Un noir et blanc, doux, velouté mais aussi géométrique, évoquant aussi bien le Jarmusch des débuts que l’univers atemporel d’un roman graphique épuré. Quelques ralentis étranges et mystérieux qu’un Lynch époque pré-méditation n’aurait pas reniés. Un lieu, Bad City donc, fantasmagorique et dangereux comme dans un film de Robert Rodriguez, fantomatique comme une ville de western, gangréné par la dope et la violence comme une ville de film noir. Des personnages-figures qui allument le souvenir de James Dean ou de Sophia Loren. Une musique-actrice qui évoque tant le giallo qu’Enio Morricone. Et cette vampire, recouverte de la tête aux pieds d’un tchador noir, qui la nuit débarrasse la ville de ses déchets, jusqu’à ce que sa route croise celle d’un jeune homme épris de bien…

Que déjà cette jeune cinéaste ait réussi à s’exprimer, et de façon si impressionnante, dans un pays qui ne favorise pas la liberté de création, pour dire le moins, est déjà singulier. Qu’elle l’ait fait en s’autorisant à parler à voix haute une langue universelle et bien comprise, celle du cinéma, l’est encore plus. Car, au-delà des références, au-delà des influences formidablement bien digérées, nourrissant plus qu’imitant béatement, Amirpour conçoit surtout un univers de cinéma, bâtissant avec soin et patience une atmosphère séduisante, onirique, sensuelle et morbide, bien plus efficace et envoûtante que l’enfilade de scènes chocs et trash que le genre commande parfois et où ce film refuse avec intelligence de s’abîmer. Une atmosphère se jouant du fantastique pour mieux l’ancrer dans son réalisme – ou le contraire – dessinant les contours d’un film racé, stylé, planant.

Planant comme dans « tout pour la forme, rien pour le fond ? ». Probablement un peu. Car A Girl Walks Home Alone at Night, série B à grandes dents, manque assurément de mordant sur la longueur. Quelques plumes se perdent à force de répétitions, de langueur mortifère, d’hypnose formelle un rien vaine. Mais même ténu, le sous-texte, lui, persiste. Car comment ne pas voir la métaphore ? Comment ne pas lire dans cette figure de vampire voilée une force de résistance symbolique farouche et punk à toutes les soumissions, bien réelles ou imagées, par lesquelles les idéologues de tout poil aliènent les femmes ? L’esprit et la lettre, en somme…

À Bad City… une jeune cinéaste est née.

 

La bande-annonce d’A Girl Walks Home Alone at Night


6 mars 2015