Critiques

A Star is Born

George Cukor

par Eric Fourlanty

Depuis septembre dernier, Cinéplex Odeon présente, deux fois par mois, en salles et en numérique haute définition, un grand classique populaire du 7e art. Parmi les films à venir : Doctor Zhivago, The Wizard of Oz, One Flew Over the Cuckoo’s Nest, Spartacus et M.A.S.H.

À l’ère du DVD, du blu-ray, de Netflix et de la télé payante, et alors que la fréquentation en salles baisse lentement mais sûrement, pourquoi se déplacer pour voir un film? Prêchons à des convertis : pour que les salles de cinéma ne disparaissent pas complètement, et surtout, pour (re)découvrir un film tel qu’il a été conçu, sur grand écran, du son plein les oreilles, et parmi tous « ces gens merveilleux dans le noir ».

En 1954, lorsque le film de George Cukor sort sur les écrans, Judy Garland joue son va-tout. Renvoyée des studios MGM où elle a enchaîné film sur film pendant 15 ans, elle est une vedette de la scène, mais n’a rien tourné depuis six ans. C’est son nouveau mari, Sid Luft, qui a l’idée de faire un remake du A Star Is Born (1937) de William Wellman, qui était déjà une adaptation libre de What Price Hollywood?, réalisé, en 1932, par George Cukor! En 1976, Barbra Streisand tiendra la vedette d’une version actualisée, et aujourd’hui, après un projet avorté avec Will Smith et Jennifer Lopez, c’est au tour de Robert Downey Jr. et de Beyonce d’être pressentis pour une 4e mouture, réalisée par Nick Cassavetes.

Qu’est-ce qui captive toujours autant Hollywood, depuis 80 ans, dans cette histoire de Norman Maine, un acteur célèbre sur le déclin, qui trouve, sinon la sérénité, du moins une forme de rédemption dans l’amour qu’il porte à Vicky Lester, une vedette montante qui, bientôt, l’éclipsera par son talent et sa popularité? Poser la question, c’est y répondre : A Star Is Born est une tragicomédie hollywoodienne, un miroir aussi narcissique que déformant d’une industrie fascinée par elle-même.

Le film de Cukor tel qu’on peut le voir aujourd’hui faillit ne jamais exister. En effet, peu de temps après sa sortie, la version originale de 181 minutes fut amputée d’une demi-heure par les studios Warner. Il fallut attendre la restauration de 1983 pour le voir tel que Cukor l’avait conçu, un magnifique drame musical en Technicolor et en Cinémascope, une critique cinglante du système hollywoodien, un mélodrame flamboyant porté par une Judy Garland à son meilleur.

À elle seule, la scène d’ouverture vaut le déplacement. En quelques minutes, Cukor plante son décor, présente ses personnages et expose les enjeux de son intrigue avec une fluidité et une précision remarquables. Il faut dire qu’avec 36 longs-métrages à son actif, le cinéaste avait de l’expérience, un conteur aussi efficace qu’esthète, se permettant même le luxe de s’inspirer d’un tableau de Degas pour une scène de coulisses!

Le scénario de Moss Hart est brillant, drôle et poignant, et les scènes d’anthologie ne manquent pas : la chanson The Man That Got Away filmée en plan séquence, la première journée de Vicky aux studios, la scène de la gifle lors de la cérémonie des Oscars, la scène où la jeune femme fond en larmes alors que, déjà maquillée, elle s’apprête à tourner un numéro musical, Born in a Trunk, ambitieuse séquence musicale de 18 minutes.

Après que Bogart, Brando, Gary Cooper, Montgomery Clift et Cary Grant aient refusé le rôle de Norman Maine, James Mason hérita du rôle ingrat du faire-valoir égocentrique et alcoolique. C’est certainement l’un de ses meilleurs rôles et son jeu – tout comme celui de Garland – est d’une étonnante modernité. Sans jamais enjoliver son personnage, il parvient à le rendre attachant et à en faire un interlocuteur de taille face à une Garland qui déploie un talent qu’on ne lui avait jamais vu jusqu’ici. Douce dans It’s a New World, opératique dans Born in a Trunk, vulnérable ou colérique, drolatique ou effondrée, Garland fait feu de tout bois. A Star Is Born est une ode à ses multiples talents d’actrice et de chanteuse, à faire regretter qu’on ne lui ait pas, par la suite, proposé de rôles plus consistants.

Mais ce qui devait être une consécration devint son dernier grand rôle. La version tronquée n’eut pas le succès escompté et l’oscar que tout le monde lui prédisait fut décerné à Grace Kelly pour The Country Girl –- la rumeur voulut que celle-ci l’ait gagné par six voix! De plus, malgré les ors dont il se pare, A Star Is Born donne une image peu reluisante d’un Hollywood vénal et sans merci. Pas étonnant que le film n’ait pas eu de reconnaissance officielle.

Mélodrame à tiroirs, fausse comédie musicale et vrai chef-d’œoeuvre, A Star Is Born est aussi un troublant chassé-croisé entre réalité et fiction puisqu’à l’époque, il était déjà de notoriété publique que Garland était plus proche des affres d’un Norman Maine que du personnage équilibré qu’elle incarne. Une facette de plus pour un film qui, 57 ans plus tard, conserve toujours sa pertinence, sa puissance et son charme.

Présenté en anglais, le 12 janvier, à 18h30, et le 23 janvier, à 13h (www.cineplex.com)


6 janvier 2011