Critiques

Adagio pour un gars de bicycle

Pascale Ferland

par Philippe Gajan

René Bail est un grand de la cinématographie québécoise, de la plus glorieuse qui plus est, aux côtés des Jutra, Carle, Groulx, Perreault, Brault, etc…, qu’il inspirera, celle des précurseurs qui portèrent la modernité du cinéma québécois et le cinéma direct.  Mais il en fut longtemps également le grand oublié, presqu’un mythe alors que quelques années après la présentation confidentielle des Désoeuvrés en 1959, oeuvre non terminée, il fut victime d’un très grave accident de moto. On connaît la suite… Accompagné par le cinéaste Richard Brouillette, il terminera à partir de 2002 les Désoeuvrés et le présentera en 2007 peu de temps avant sa mort.

À cette suite, Pascale Ferland a ajouté un appendice. On attendait un hommage, un portrait à hauteur d’homme, sorte de «chapeau à l’artiste» pour son dernier tour de piste, on a eu droit à beaucoup plus. Car en filmant à la fois l’homme dans son intimité et le processus de (re)construction des Désoeuvrés, en fouillant les archives, en revisitant l’oeuvre, Pascale Ferland s’est attelé à une tâche infiniment plus ambitieuse en réintégrant René Bail dans son contexte, celle d’un certain cinéma (celui des Jutra, Dansereau ou Carle) comme d’une certaine idée du cinéma (la fiction comme documentaire, le cinéma comme ode à la vie). En effleurant le portrait d’un homme et d’une époque, non plus avec nostalgie, mais comme la possibilité d’une suite, d’une leçon à retenir et à porter plus loin. La cinéaste dit plus l’audace de Bail que sa disparition. Pour la suite du monde… En cela, Adagio… est porteur d’un héritage.

Dès lors la dignité et l’humanité de René Bail, l’exceptionnelle détermination qui l’habitera tout au long de sa vie, avant son accident lorsqu’il filme son coin de pays et lui donne sa première «représentation», comme après, en ressortent encore grandis comme si les mots n’étaient plus vains, comme si les clichés que l’on réserve habituellement à ce type d’hagiographie s’effaçaient pour laisser place à un hymne à la liberté et à la détermination. Quand René Bail «revisite» un extrait du Louisiana Story (1948) de Flaherty, sa beauté époustouflante, il ne dit que cela : son amour de la vie et du cinéma. Et quand le jeune Claude Jutra l’interviewe en 1959, c’est encore ce qu’il dira de René Bail : son indépendance, sa liberté et sa détermination; «et c’est très bien comme ça», soulignera-t-il.

Un portrait clôt une histoire. Grâce à Adagio pour un gars de bicycle l’héritage légué par René Bail est bien vivant et a désormais son «héraut» : Oyez, oyez, l’histoire d’un homme digne qui ne baisse jamais les bras…


28 février 2008