Critiques

Adieu Berthe

Bruno Podalydès

par Éric Fourlanty

Tout va mal pour Armand (Denis Podalydès), pharmacien dans les Yvelines et magicien à ses heures. Coincé entre deux amours, sa future ex-femme (Isabelle Candelier) qu’il aime toujours, et sa nouvelle flamme (Valérie Lemercier), qui l’envoie sur les roses pour mieux le reprendre, tiraillé entre son père (Pierre Arditi) qui a la mémoire qui flanche et sa future ex-belle-mère envahissante (Catherine Hiegel), le quadragénaire surmené tente de faire un bilan de vie alors que sa grand-mère casse sa pipe. Incinération ou inhumation pour mémé Berthe? Rompre en douceur ou en fanfare? Aller à une fête d’enfants ou à un enterrement? S’enfuir ou dire merci?

Ça ne s’invente pas : Adieu Berthe de Bruno Podalydès, a été tourné, en partie, à Couilly-Pont-aux-Dames, en Seine-et-Marne. Nous sommes en France, la Gaule profonde et inchangée, avec ses pavillons de pierre meulière, ses pharmacies à chaque coin de rue, ses belles en jupe fleurie, juchées sur leurs bicyclettes, ses saules ployant au-dessus de rivières ombragées, etc. Bref, une France à la Renoir, à la Trenet, à la Montand qui, si elle existe encore, est bien éloignée de la « fracture sociale », du lepénisme, du chômage galopant et autres misères hexagonales.

Bien qu’ils croquent les travers d’une classe moyenne déboussolée, les frères Podalydès n’ont jamais fait dans le social. Chez eux, on n’est pas dans la chronique nostalgique à la Jean Becker, mais on n’est pas non plus chez Laurent Cantet. De Versailles Rive-Gauche à Bancs publics, en passant par le Montmartre de Paris, je t’aime, ils honorent la tradition franco-française qui consiste à parler avec légèreté de choses graves – lire du domaine de l’intime, du personnel, du familial. Ici, on parle de deuil et d’enterrements, de crise existentielle et d’amours enfuies, de ruptures et de divorces amers, d’Alzheimer et d’insomnies. Le tout avec le sourire aux lèvres et, de temps en temps, l’œil humide.

Entre Tati et Woody, ce Marivaux à l’ère des textos est dans l’air du temps, pas tout à fait réaliste, légèrement décalé, avec une pointe de poésie et des dialogues qui font mouche. Le tout étant rehaussé de qu’il faut de mordant pour ne pas sombrer dans la bluette : on n’est pas, après tout, à Hollywood. L’honneur est sauf, le cocktail est bien dosé.

Mais, tout comme chez ce cher Woody qui, lorsqu’il dépasse ses 80 minutes habituelles, étire la sauce, Adieu Berthe aurait aisément pu faire 20 minutes de moins. La première partie a le pétillant acide d’un mousseux frais, mais la seconde est quelque peu éventée. La charge contre les marchands de la mort et la réflexion aigre-douce sur le temps qui passe touchent leur cible, mais les va-et-vient du pharmacien transi entre les deux femmes de sa vie lassent à la longue. Reste un ton, proche de celui du dernier film de Michel Blanc (Embrassez qui vous voudrez), une distance amusée assez rare dans le cinéma français, qui se rapproche plus de l’humour britannique que de la rigolade franchouillarde.

Éric Fourlanty


6 septembre 2012