Afterschool
Antonio Campos
par Marcel Jean
Premier long métrage du très jeune Antonio Campos (24 ans au moment de la première du film), Afterschool a été projeté à Cannes en 2008, dans la section Un certain regard, avant de connaître une sortie confidentielle dans une seule salle new-yorkaise, pendant une semaine, en octobre 2009. Pourquoi une si ridicule sortie? Pour faire parler du film dans les médias et ainsi mousser la « video on demand », disponible dès octobre 2009, nous informe le site Internet d’IFC. Au Québec, on a pu voir le film au FNC 2008. Le voici maintenant en DVD! Bel exemple du destin qui attend désormais de plus en plus de films, et pas des moindres… Car paradoxalement, Afterschool est un vrai film de cinéma, c’est-à-dire que Campos y travaille le plan, l’espace, la durée la matière filmique, quoi! d’une manière qui profite indéniablement du grand écran et de la salle obscure. Sans compter que c’est tourné en CinémaScope! Qu’on me comprenne bien : Afterschool se laisse tout à fait apprécier en DVD, mais c’est dans une salle de cinéma qu’on peut vraiment prendre la mesure de l’étonnante maîtrise du jeune cinéaste.
On reconnait dans Afterschool l’influence de Gus van Sant et, surtout, celle de Michael Haneke. Au point où on pourrait dire (en exagérant un peu) qu’il s’agit d’un Benny’s Video de l’ère You Tube. Qu’il suffise, pour s’en convaincre, d’en résumer l’intrigue : adolescent pensionnaire dans un chic collège des environs de New York, Robert est un consommateur de pornographie et d’images violentes sur Internet. Son existence se trouve bouleversée lorsqu’il capte, par hasard, la mort de deux étudiantes alors qu’il filmait simplement un couloir de l’école.
Campos est donc un héritier du cinéaste autrichien, intéressé comme lui à l’effet des images sur notre présence sensible au monde. Mais même s’il est en parti écrasé par le poids de ses références, Afterschool est davantage qu’un exercice réalisé par un étudiant doué. Le sens exacerbé de la mise en scène dont Campos fait preuve à plusieurs moments du film notamment à travers une conception rigoureuse du cadre et quelques effets de montage efficaces et troublants donne à l’ensemble une véritable cohérence et une réelle personnalité. Par son regard affirmé, Campos parvient en effet constamment à révéler les tensions et le désordre masqués par la rigidité d’un environnement net, bourgeois et policé, où l’on ne peut faire confiance à personne (ainsi, toute confidence faite au psychologue de l’école semble se retrouver aux oreilles du directeur). La duplicité et le cynisme des adolescents deviennent les échos de l’hypocrisie des parents et de l’administration scolaire qui agissent uniquement en fonction de gérer leur image (le directeur de l’école, par exemple, ne tarde pas à conclure que la drogue qui a tué les étudiantes a été achetée au cours d’un weekend de sortie). Progressivement aux prises avec des problèmes de conscience, Robert se coupe de son milieu pour s’enfoncer dans la spirale de la dysfonction. Mésadapté parce qu’il refuse de préserver les apparences le court métrage qu’il réalise à la mémoire des jumelles décédées scandalise parce qu’il repose essentiellement sur les instants où la surface lisse des choses se brise Robert est tout simplement éjecté de l’école. Voilà donc un premier film costaud, aux résonances fortes, qui nous habite longtemps après qu’on l’ait vu et qu’un second visionnage n’épuise pas.
Le DVD que nous offre IFC n’est pas chiche. C’est au moins ça, dirons nous en continuant de regretter que le film n’ait pas eu droit à une sortie en salle. On y trouve d’abord quantité de matériel exclu du montage, ou non monté, ce qui serait d’un intérêt bien relatif si on n’avait pas eu la bonne idée de proposer ces éléments avec un commentaire du cinéaste. On y trouve aussi un scénarimage photographique plutôt instructif, qui prend la forme d’une sorte de diaporama. On y trouve encore un entretien, malheureusement sans grand intérêt, avec le jeune acteur Ezra Miller. On y trouve enfin le court métrage précédent de Campos, The Last 15, présenté en compétition à Cannes en 2007, un film tout à fait surprenant, regard impitoyable sur une famille américaine de la classe moyenne.
30 septembre 2010