Critiques

Ain’t Them Bodies Saints

David Lowery

par Céline Gobert

L’ouverture, in medias res, se fait en contre-jour du soleil texan : sept minutes où tout est dit, sept minutes où tout est posé. L’étreinte du couple que forme Bob et Ruth est d’emblée malickienne. David Lowery, qui réalise ici son second long métrage (après St-Nick), filme à la Terrence : léger tournoiement autour des deux amoureux, bien évidemment plantés dans un cadre naturel magnifié. Vient la fusillade, qui cristallise les enjeux du film aussi vite que l’éclair : Monsieur ira en prison, Madame élèvera seule l’enfant qu’elle porte en son ventre. D’emblée, Bob (Casey Affleck) et Ruth (Rooney Mara) apparaissent comme des néo Holly et Kit du Badlands de Malick : même poétique de la violence, même violence saupoudrée de romantisme (et dans les mots, et dans l’image). Plus qu’une influence, une singerie des tics de cinéma de Malick (champs de blés et violons torturés comme autant de passages obligés) qui s’étire péniblement jusqu’à la fin, allant jusqu’à se servir également dans les plats des autres cinéastes qui s’en sont inspirés – mais aussi, d’une certaine façon, détachés – bien avant lui. On pense notamment à l’australien John Hillcoat, friand de la jonction polar/western (Lawless) et adepte du plan-tableau (outback australien dans The Proposition, no man’s land apocalyptique dans The Road) ou au néo-zélandais Andrew Dominik qui touille plages de mélancolie et imagerie du western comme personne (revoir The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford pour s’en convaincre).

Dès ce début, d’ailleurs, Casey Affleck, avec son regard bleu ciel et sa voix nasillarde reconnaissable entre mille, ne débarque pas tout seul. Dans son sillage, l’imagerie de personnages qu’il a déjà interprété auparavant : cet autre Bob, par exemple – ce fameux Robert Ford justement – que l’acteur a incarné chez Andrew Dominik. Et, encore un Ford, ce Lou infâme du The Killer Inside Me de Winterbottom, celui qui cognait brutalement Jessica Alba. Deux personnages à chapeau et à la psyché trouble, à qui l’acteur a prêté ses traits. Deux personnages similaires, voisins, cousins, du Bob Muldoon que Casey Affleck incarne ici. L’acteur ne parvient jamais à vraiment effacer le souvenir de ses prestations passées, tant son personnage demeure malheureusement figé à l’état d’esquisse, Lowery n’ayant pas pris la peine de le fouiller, de l’autopsier, de lui donner chair. Choisir Casey pour incarner ce Bob Muldoon-ci, c’est un peu mâcher le travail aux spectateurs, et à l’acteur, simplifier l’édification du film – qui se sert alors des constructions d’autrui non plus pour mieux se réinventer, mais pour se reposer sur des imageries passées. A bien y réfléchir, le plus grand reproche que l’on puisse faire à Ain’t Them Bodies Saints – titre inspiré d’une chanson américaine folk –  est d’être immensément paresseux. Une bonne feignasse drapée de poésie molle, qui n’ira jamais plus loin que ses sept minutes d’ouverture. Qui va, le reste du temps, tourner en rond, dans une boucle vidée de toute substance, recycler l’atmosphère des uns, les marques de fabrique des autres, au cœur d’une non-intrigue rythmée par la récitation en voix off des lettres que s’envoient les deux amants maudits.

Là où chez Malick ce style maniéré et épuré confère au divin (son spirituel et radical To the Wonder en est la quintessence), Ain’t Them Bodies Saints, plutôt bien accueilli à la Semaine de la Critique à Cannes cette année mais qui sort directement en DVD chez nous, ne décolle pas du sol. Là où la fluidité visuelle étourdissante du premier illustrait le flot et les courbes incessantes de l’existence, le second se vautre dans l’immobilisme. Pas de mauvaise foi cependant : le film est beau. La photographie convoque de belles envolées esthétiques. Les paysages du Texas font souffler splendeur et lyrisme sur le scénario filiforme. Une ravissante coquille vide qui a préféré l’écrin du minimalisme à celui de l’action, matériau à la mode ces temps-ci. Un matériau que Lowery aurait néanmoins pu davantage exploiter et ce, sans imitation, sans reproduction à l’identique. Un déjà-vu auquel il aurait pu insuffler du personnel, du singulier. Qui est Bob Muldoon, au-delà des figures mythiques qu’il convoque ? Qui est Ruth, au-delà de son moule d’amoureuse contrariée ? Au mieux, ils sont des croquis. Au pire, des duplicatas. Mais, surtout, qui est David Lowery en tant qu’auteur, en tant que cinéaste? Une interrogation – tenace, insoluble en l’état – qui, souhaitons-le, trouvera sa réponse… au prochain film.

 

La bande-annonce d’Ain’t Them Bodies Saints


19 Décembre 2013