AK 100: 25 Films by Akira Kurosawa
Akira Kurosawa
par Mathieu Li-Goyette
Dans leurs autobiographies, leurs entrevues, plusieurs auteurs lui ont rendu hommage. Bergman disait que son film La source n’était qu’une imitation aberrante, touristique d’une oeuvre de Kurosawa. Spielberg répète qu’il était le Shakespeare de notre temps. Scorsese affirma que son influence sur les cinéastes de par le monde était incomparable, si profonde. Fellini dit que s’il n’avait vu que Les sept samouraïs, l’expérience lui aurait été suffisante pour dire que « l’empereur » était le plus grand exemple de ce qu’un auteur de cinéma devrait être. Maintenant, à nous de revenir sur les éloges.
Ce qu’on a dit de Kurosawa en dit long sur le respect que le cinéaste japonais le plus connu du dernier siècle impose. Encore aujourd’hui, à quelques jours de son 100e anniversaire, « l’empereur » parce qu’il était exigeant sur les plateaux lègue à une toute nouvelle génération de cinéphiles la force évocatrice de ses images. À l’occasion de cet anniversaire, Janus Films et la collection Criterion ont eu la bonne idée d’éditer un coffret gargantuesque en décembre dernier. 25 films, un livre et un coût tout aussi ambitieux que le produit (aux alentours de 300$… c’est un gros cadeau).
Bien entendu, il serait impossible, voire débilitant de passer en revue ces 25 oeuvres. Allant de sa toute première, La légende du grand judo (1943) jusqu’à sa dernière, Madadayo (1993), il ne manque à cet attirail de disques que 5 films. Les droits pour Le duel silencieux, Derzou Ouzala, Ran, Rêves, Rhapsodie en août étant éparpillés chez Kino, Studio Canal, Warner et MGM, il ne restait au distributeur américain qu’à restaurer et vendre ce qui figure comme parmi les plus belles éditions DVD jamais présentées en Amérique en Nord.
Mais à ce prix, le cinéphile est aussi en droit d’exiger le meilleur de ce que le marché peut offrir. Il y a 2 ans, Wild Side offrait en France un coffret de Kurosawa contenant 10 de ses plus beaux films en plus d’une réédition de l’autobiographie de l’auteur. Ici, ce que l’on aurait pu espérer, ce sont des suppléments à ces disques. Une omission de la sorte, pour une compagnie de la trempe de Criterion, est des plus difficiles à avaler étant donné que nous savons qu’il existe bel et bien du matériel documentaire afférant à ces films. Par exemple, le merveilleux documentaire A.K. (1985) signé Chris Marker, ou le Kurosawa d’Adam Low (2001), brillent par leurs absences alors qu’ils sont des films accompagnateurs essentiels à l’amateur vorace. C’est une question de droits direz-vous, mais Criterion nous a habitué à plus d’une prouesse en la matière.
Au-delà de la consommation de DVD, Kurosawa demeure, de manière indiscutable, le cinéaste japonais le plus influent du 20e siècle. Bien qu’aux côtés de ses contemporains (Ozu, Mizoguchi, Naruse, Shindo, Ichikawa, Kobayashi pour n’en nommer que quelques uns), il fait la plupart du temps figure de metteur en scène classique et s’avère donc le plus accessible réalisateur de son pays. Mis à part ses sujets accrocheurs, ses trames sonores envoutantes (les meilleures sont signées Hayasaka ou Takemitsu), l’humanisme débordant de ses uvres les rend, encore en 2010, bouleversantes. La bonne santé du patrimoine cinématographique mondial et sa diffusion vers les générations futures semble, entre autres, aller de paire à l’intérêt et l’importance que nous donneront à Kurosawa. Avec ce coffret et ses prédécesseurs, c’est enfin chose faite, tous les films sont sains et saufs. Ne reste plus qu’à les visionner.
Kurosawa déborde de générosité, il est un technicien hors pair, un amateur des grands récits classiques de Shakespeare (Ran) à Dostoïevski (L’idiot). Le cinéphile qui voyagera à travers ces 50 années de carrière en apprendra assurément beaucoup sur la condition de l’homme moderne. Ses folies (Le château de l’araignée), ses massacres (Kagemusha), ses joies (Dodeskaden), ses plus beaux rêves (Rêves) et son goût de vivre (Vivre). Il goûtera à ce qui demeure, après 65 ans, l’un des films d’aventures les plus touchants du cinéma (Les sept samouraïs), la naissance des antihéros du western (Le garde du corps, Sanjuro), le plaisir des polars nippons (L’ange ivre, Chien enragé, Les salauds dorment en paix, Entre le ciel et l’enfer). Il sera étonné de découvrir un cinéma d’après-guerre qui ressemble sur plusieurs points au néo-réalisme italien (Je ne regrette rien de ma jeunesse, Un merveilleux dimanche) et qui les concurrence dans toute leur sensibilité. Il s’amusera encore à remarquer que La forteresse cachée a été plagié 20 ans plus tard par un certain Star Wars ou que Scandale, film de 1950 traitant de la création des mythes populaire, est en avance de plusieurs années sur The Man Who Shot Liberty Valance de John Ford (1962).
L’auteur du présent texte n’est pourtant pas très âgé, il fait partie d’une génération qui a dû retracer ces films au compte-gouttes. De les retrouver enfin, dans le même boîtier accompagné d’un bel album contenant des textes signés Stephen Prince (The Warrior’s Camera : The Cinema of Akira Kurosawa) et Donald Richie (historien du cinéma japonais le plus crédible et intéressant), ajoute du piquant à ce chemin de croix qu’est de se confronter à l’une des uvres fondatrices du cinéma moderne.
Car ce cinéma exige temps, patience, recherche et ouverture d’esprit. Il apparaît aujourd’hui, en 2010, anachronique et issu d’une autre époque. Pourtant, sa capacité à saisir et à manier les thématiques les plus épiques avec une sensibilité et une maîtrise du langage cinématographique rarement égalée place le géant japonais au rang des quelques artistes définitifs du 7e art. Apolitique bien qu’issu de l’après-guerre, ce qui intéressait Kurosawa par-dessus tout était l’être humain dans ce qui le différenciait de son monde ambiant. Un monde de chaos, de stupidité et d’incohérence.
Les héros de Kurosawa s’érigent contre ces plaies. Ils sont hauts dignitaires de notre espèce, mais aussi amalgames de valeurs dont l’auteur, pédagogue le plus chevronné du cinéma, nous supplie de tirer des leçons. Tout cela est peut-être simplet, peut-être grossièrement bon enfant, mais entre nous, il semble que c’est de ces forces de la nature dont nous aurions le plus besoin aujourd’hui 100 ans après la venue d’Akira Kurosawa.
« Il y a quelque chose qu’on pourrait appeler la beauté cinématographique. Elle peut s’exprimer seulement dans un film, et elle doit y être présente pour que ce film soit une uvre qui touche. Quand elle est parfaitement exprimée, on ressent au spectacle de ce film une émotion particulièrement profonde. Je crois que c’est cette qualité qui motive les gens à venir au cinéma, et que c’est l’espoir de parvenir à cette qualité qui inspire le réalisateur pour faire son film. En d’autres termes, je crois que l’essence du cinéma réside dans cette beauté cinématographique. » – Akira Kurosawa (Comme une autobiographie, p.212)
18 mars 2010