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Critiques

Alice in Wonderland

Tim Burton

par Mathieu Li-Goyette

Parrainé par l’école Disney depuis ses tout débuts en tant que dessinateur, Tim Burton semble aujourd’hui avoir atteint une certaine indépendance créative que nul autre ne possède au sein du grand studio. Après un long bout de chemin avec la compagnie, il sait allier son flair gothique aux mille et une folies qui font de son cinéma l’un des plus appréciés qui soit. Il est en mesure de répondre film après film aux prérogatives de l’immense studio qui l’a formé: allier la fantaisie enfantine à des récits tragi-comiques. Mais depuis qu’il a goûté au numérique qui lui paraissait si alléchant dans Mars Attack! (1996) et qu’il s’y est complètement converti en 2005 avec Corpse Bride et Charlie’s Chocolate Factory la même année, l’auteur n’est plus tout à fait le même et son dernier film confirme bel et bien ce passage vers la mode du tout-numérique. ŒOeuvrant maintenant avec des prémisses issues de l’univers de Lewis Carroll, il illustre à son tour la fameuse fable sur l’enfance en s’inspirant de son homologue animé de 1951 réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luke. Ça tombe bien, Disney redistribuera sous peu pour la première fois une édition prestige du film d’animation en DVD et Blu-Ray…

Que l’on connaisse déjà où non l’histoire de cette petite Alice qui se décida un jour à suivre le lapin blanc importe peu. Car dans son dernier projet, Burton filme plutôt la suite du récit originel, le retour d’Alice au Pays des merveilles quelque 10 ans après qu’elle l’ait quitté. Alors qu’elle ne croit revivre que le rêve qui la hante depuis sa petite enfance, Alice découvre au fur et à mesure de ses rencontres qu’elle a déjà fait partie de ce monde magique et qu’il lui faut une fois de plus le sauver de la Reine de Cœur (Helena Bonham Carter, avec une belle dose de caricature venant épicer un rôle aussi iconique) qui y trône au détriment de sa sœur la Reine Blanche (Anne Hathaway qui parodie de manière amusante son premier rôle de Princess Diaries). Accompagnées par leurs armées de cartes et de pièces d’échecs, les deux reines se livreront bataille tandis qu’Alice et son adversaire le dragon Jabberwocky (Christopher Lee…!) combattent pour sceller la légende qui a contraint l’adolescente à retourner dans le Pays des merveilles. Pour en arriver là, ses rencontres avec le Chapelier (Johnny Depp, qui parvient à ne pas voler la vedette), les Tweedledee Tweedledum, le Chat et le Valet de cœoeur (Crispin Glover, de retour) lui auront d’abord permis de retenir de précieuses leçons sur sa féminité. Dans la mesure où elle reviendra dans le monde réel équipée de la force de caractère que toute bonne fille doit avoir, elle est maintenant apte à refuser les faux prétendants et lancer sa propre entreprise d’import-export vers la Chine. On ne se le cachera pas, le tournant que Burton fait prendre à son personnage est autant teinté de féminisme simplet qu’il est une redite plutôt maîtrisée de l’œuvre originale.

Bien que séparées par 60 années de cinéma de son aïeule, la nouvelle Alice ne semble avoir vieilli  que pour s’entourer à nouveau de la même galerie de mignons petits personnages imprégnés d’une certaine nostalgie. Toujours aussi curieuse et candide dans sa découverte d’un monde surréel qui n’est en fait que la transposition éclatée de son morne quotidien, elle marche sur les traces de son passé, parcourant un monde imaginaire en décrépitude. S’il y a là une belle façon de faire renaître ce qui a déjà été magnifiquement fait, c’est parce que Burton et son équipe technique sont parvenus à retravailler dans ses moindres détails l’univers de Carroll, celui que l’écrivain anglais avait fait illustrer par le caricaturiste John Tenniel et qui lui a permis d’entrer si profondément dans l’imaginaire des enfants. C’est aussi évidemment parce que Alice in Wonderland façon Burton est habité par la plus grande peur de son auteur, à savoir qu’un jour l’imagination sera complètement abolie de notre quotidien.

Grand imagier qui défend à son tour la cause, Burton, armé de sa signature baroque, démultiplie les détails de l’environnement jusqu’à exagérer ses plus minimes fioritures qui deviennent l’attrait principal de créatures plus élaborées que les usuelles caricatures mal exagérées. Le cinéaste repousse les limites du réel grâce à des moyens techniques qu’il ne s’était donnés qu’à l’occasion de ses longs-métrages d’animation (The Nightmare Before Christmas à titre de producteur puis Corpse Bride) en concevant un monde complètement numérique. Voyage entre deux dimensions autant dans l’œuvre que dans sa technique, il y a dans son dessin une plasticité parvenant à faire ressortir les objets animés comme les jouets d’une brocante que l’on aurait trop usés. L’effet final, s’il reste bien loin du chef-d’oeœuvre homonyme d’animation artisanale de Svankmajer de 1988 (le cinéaste tchèque y mélangeait os, objets du quotidien et pâte à modelée dans un film d’animation d’une maîtrise incroyable), confère aux prestigieux acteurs du film un « charisme » esthétique qui n’est pas loin d’être en soit l’un de ses intérêts les plus mémorables.

En gonflant la tête de sa femme Helena Bonham Carter, en donnant à Depp les moyens visuels pour qu’il soit en mesure de dépasser les points limites de l’excentricité pour lesquels il est le plus reconnu, le génie de Burton atteint cependant rapidement ses frontières. Certains accrochages dans la fin de parcours détonnent du rythme prenant de sa première moitié, le tout souffre d’un manque à gagner en ce qui a trait à l’épatement qui se laisse toujours désirer. Comme s’il n’était plus assez exhaustif dans les univers qu’il concevait, ni en mesure de retrouver la suprême folie que son art premier (le dessin animé) lui conférait, Burton signe une œuvre convenue, dans les récents standards paresseux disneyens. Satisfaisant pour les plus jeunes, force est d’admettre que l’imagerie numérique a atteint un point de rentabilité maximum pour son public – ce n’est pas tout les jours qu’un certain Gilliam débarque avec Parnassus. Il faudrait, dans tout ce brouhaha technocratique qui vient de se dénicher la 3D comme ultime cerise, se rappeler la valeur de la prouesse manuelle : l’aspect le plus primitif du cinéma et sur lequel s’additionnent les valeurs bonifiées de l’animation traditionnelle et du trucage.

 


4 mars 2010