Aquaman
James Wan
par Ariel Esteban Cayer
Aquaman n’est pas un bon film. Maintenant que c’est dit, il est tout de même tentant d’élaborer sur les plaisirs qu’il y a à en tirer et sur ce que ce film, dans un contexte industriel plus clément aux élans de créativité, aurait pu donner eut-il assumé pleinement, et pour notre grand plaisir, sa nature de poisson hors de l’eau.
Se déroulant quelque temps après les événements de Justice League (qu’il n’est en aucun cas nécessaire – voire même fortement déconseillé – d’avoir vu), Aquaman retrouve Arthur Curry (Jason Momoa), surhomme né de l’improbable union entre un gardien de phare et la reine d’Atlantis. Désormais aux prises avec des pirates, le superhéros sera bientôt confronté au problème fondamental de son héritage et, plus précisément, à celui de son frère ainé, Orm (Patrick Wilson), pur-sang destiné à devenir « Ocean Master » et désireux, entretemps, de déclarer la guerre au monde de la surface. S’ensuit une quête héroïque fort simple où Arthur, unificateur biologique de la Terre et de la Mer – surnommé Aquaman dans les médias mais n’assumant jamais ouvertement le sobriquet (c’est tout dire de la nature du film) – devra trouver le trident d’Atlan, et délivrer les Sept Royaumes du gouffre du conflit. Tout en tombant dans les bras de Mera la rousse (Amber Heard), dont la seule fonction narrative sera de sauver la peau épaisse du héros (et lui donner un gros bec mouillé en plein champ de bataille ; une jolie scène à la caméra tourbillonnante, pleine d’explosions judicieusement cadrées).
Autrement dit, voici un récit au grand potentiel camp (une pensée pour les Batman de Joel Schumacher) et à la forte charge mythologique (une autre pour Zack Snyder), gâché par une exécution des plus éparpillées ; un film sans cesse tiraillé entre ses ambitions épiques (louables) et les exigences mercantiles et puériles des studios (l’incorporation superflue de Black Manta, par exemple). Les excentricités qui auraient donné au film une qualité unique sont lissées, ignorées (on parle tout de même d’un film dans lequel un poulpe géant joue des timbales, donnez-m’en plus !) et James Wan (Insidious, The Conjuring, Furious 7) semble pour sa part devoir jongler avec autant de bras que ce mollusque. Son film est à la fois sérieux et niais, insipide et coloré, sans qu’aucune de ces saveurs ne soit pleinement incarnée et il en va de même pour sa mise en scène : visiblement hachurée au montage, brillante dans quelques scènes d’action, mais autrement engloutie sous les vagues génériques de DC Films.
Un fouillis, qui laisse néanmoins percer quelques éclats d’inspiration : des bizarreries ludiques, sans doute les réels plaisirs du film (et qui relèvent, pour la plupart, du bon travail du département artistique) : l’architecture éblouissante des Sept Royaumes, cités marines inspirées à la fois des légendes d’Atlantis, de la science-fiction pure (peut-on parler ici d’ocean punk ?), du cinéma d’aventure classique, ou des récits de Jules Verne où le 19e siècle rencontre la préhistoire. Puis H.P. Lovecraft évidemment, dont l’influence est aussi surprenante que fondamentale : qu’il s’agisse de The Dunwich Horror, la lecture de chevet du père d’Arthur, ou de l’habile design des créatures marines, dont un Léviathan tentaculaire, elle permet à Wan de laisser libre cours à ses instincts de cinéaste d’horreur. Mais ces plaisirs fugitifs relèvent trop souvent de l’arrière-plan : une mythologie superficielle qui reste largement inexplorée, simplement montrée pour stimuler l’imaginaire autrement absent du récit lui-même.
Tout au long, d’énormes efforts de postproduction sont déployés pour animer les cheveux de tout ce beau monde, leur conférer cette qualité de flottement aquatique. Ces effets recouvrent l’ensemble du film d’un filtre digital aqueux ; une irréalité de tous les instants qui aurait pu mener à tant de possibilités, mais qui est finalement prise pour acquis, figeant le film dans le gel – quand ce n’est pas dans une crème cosmétique épaisse, rajeunissant sélectivement des acteurs surqualifiés (ou trop vieux ?) pour la production, tels Nicole Kidman ou Willem Dafoe. Rien ne sauve, pour sa part, Momoa dont le charisme de semelles de botte fait sans cesse chavirer son personnage dans le registre du barbare ; un Conan des sept mers pénible à regarder (bien qu’on imagine les débouchés possibles d’un tel concept !). Et que dire de Dolph Lundgren, également de la partie : une présence complètement étrange et inexpliquée, mais qui opère telle un appel d’air en pleine noyade, tant elle apparaît comme une sincère extravagance, l’expression d’un véritable désir de la part des cinéastes. Et c’est tout dire, car c’est tout ce qu’on attend de ce type de cinéma : un brin de folie qui permettrait momentanément d’enflammer l’écran. On s’agrippe à quelques bouées, mais force est d’admettre que les flots engloutissent les quelques tisons qui nous sont tendus.
3 janvier 2019