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Critiques

Arrival

Denis Villeneuve

par Helen Faradji

Évidemment, écrire sur un film de science-fiction alors que, depuis l’élection du 8 novembre, la réalité elle-même semble s’être complètement distordue est un exercice étrange. Mais c’est aussi un exercice qui, lorsqu’il prend pour objet un film comme Arrival de Denis Villeneuve, permet de voir se réaffirmer plus fort que jamais ce pouvoir incroyable du cinéma : à savoir être, de temps en temps, cette machine cathartique aux vertus indispensables.

Vu dans n’importe quel autre contexte, Arrival, qui raconte comment Louise, une experte en linguistique est recrutée par l’armée après que d’étranges vaisseaux aient atterri un peu partout sur la planète pour nouer contact, pourrait en effet simplement être qualifié de « meilleur film de Denis Villeneuve ». Pour une fois, n’y existe pas comme une fin en soi le sens du style indéniable du cinéaste québécois, qui semble enfin avoir remplacé ses tics spectaculaires et même publicitaires par une sensibilité et un sens des textures de peaux et des lumières toute malickienne (il faut souligner la superbe direction photo de Bradford Young, également chef opérateur de A Most Violent Year) ainsi que par un formalisme moderniste et épuré d’une grande beauté. Un récit fin et efficace, adapté d’une nouvelle de Ted Chiang et dont les enjeux sont sans cesse soulignés par une musique solennelle et mystérieuse signée Johann Johannsson, est principalement au cœur du projet, comme cela avait été le cas dans le Midnight Special de Jeff Nichols, qui réinventait de la même façon une science-fiction mature et intelligente, où primait sans cesse la dimension humaine et intime des choses. Le meilleur film de Villeneuve, donc. Un film profond et terre-à-terre à la fois. Une réhabilitation d’une certaine idée de la science-fiction à l’ancienne, où le cœur est plus important que les effets spéciaux, une victoire de l’esprit et de l’inspiration sur la logique commerciale et industrielle. La discussion s’arrêterait là et tout le monde serait content.

Dans le contexte de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, Arrival prend toutefois une résonance toute particulière. D’abord, parce que Villeneuve jette sur son héroïne un regard d’une empathie totale, qui ne la transforme jamais en victime. Souvent seule dans le cadre, ses grands yeux bleus débordant d’une tristesse insondable, elle est l’anti-Emily Blunt dans Sicario. Elle est cette femme forte et vulnérable en même temps, au cœur de chaque plan, ou presque, constamment auréolée de cette lumière froide, bleue et laiteuse qui révèle un peu plus à chaque seconde son incompréhension du monde qui l’entoure. Le tour de force d’Arrival n’est pas seulement d’avoir su refaire de la science-fiction un terrain de jeu fascinant de simplicité, mais aussi d’avoir su nous placer aux côtés d’une héroïne dont le film nous fait partager chaque espoir, chaque doute, chaque vacillement. Si Ellen Ripley avait pu servir d’exemple en incarnant cette femme d’action sans peur et sans reproche, le personnage de Louise est construit par d’autres moyens, moins explosifs peut-être, mais plus humains sûrement. Car Louise, c’est nous. Sa lucidité triste, son courage parfois résigné, sa détermination à voir le langage comme un pont – le seul – entre les espèces, son envie, parfois, de ne plus croire, ce sont les nôtres. Nous sommes cette femme perdue dans un monde en plein bouleversement, que la moindre décision prise dans l’urgence ou la panique pourrait bien faire basculer du côté obscur.

Au-delà de son identification quasi absolue à cette femme qu’il met de l’avant, ce sont aussi les idées que cette dernière porte qu’Arrival soutient avec une candeur touchante. C’est ici, probablement, que la ressemblance avec Close Encounters of the Third Kind de Spielberg se fait le plus sentir. Car, malgré les coins ronds qu’il tourne, malgré les situations parfois tirées par les cheveux, Villeneuve semble avoir retenu la plus belle leçon donnée jadis par son cousin américain : le cinéma n’est pas qu’une société du spectacle condensée. Il est ce miroir où se lire, où exorciser nos peurs, où se reflète le pire mais aussi le meilleur. En épousant le point de vue de Louise, en la traitant par sa mise en scène comme un être à part, une visionnaire au cœur du chaos, Arrival croit aussi dur comme fer que la seule façon d’éviter la catastrophe planétaire est de fonder nos espoirs en la capacité du langage à nous unir et en la solidarité innée des peuples. En cela, il est un film exemplaire. Il est un film dont le message au premier degré est un baume au cœur. Tout particulièrement aujourd’hui.

 

 

La bande-annonce d’Arrival


11 novembre 2016