Attack the Block!
Joe Cornish
par Helen Faradji
The Guardian le clamait haut et fort la semaine dernière : le cinéma anglais revit. Au point même, affirmait-on dans le vénérable quotidien, de connaître un véritable nouvel âge d’or. Et à bien y regarder, force est d’admettre que tout ne va en effet pas si mal au royaume de la perfide Albion. Pluie d’oscars pour The King’s Speech, Shame de Steve McQueen en sensation festivalière de l’année, succès interplanétaire de la fin des aventures du magicien binoclard, actrices toujours parmi les plus prisées de la planète (Winslet, Swinton, Mulligan), armée comique chauffant sérieusement les fesses des Will Ferrell et autres Ben Stiller de ce monde (de Simon Pegg à Ricky Gervais en passant par Sacha Baron Cohen), jeunes pousses désormais plus que prometteuses (Ramsay, Arnold), le tout sous le patronage de maîtres toujours vifs à qui l’on n’apprend plus à faire la grimace (Loach, Leigh, Frears) le portrait a assurément de quoi donner envie de se mettre à l’heure du thé.
Attack the Block profite-t-il de cet effet d’engouement généralisé? Peut-être. Sûrement. Mais reste qu’il y a dans cette première réalisation du scénariste de Tintin, Joe Cornish, un souffle suffisamment enthousiasmant pour donner envie d’y voir une autre pierre apportée à l’édifice de la domination britannique. Débusqué au dernier Fantasia et poursuivant depuis son bonhomme de chemin au point que l’on parle déjà très sérieusement suite et remake, la drôle de bestiole marie en tout cas deux des traditions les plus fortes de sa cinématographie : celle d’un cinéma résolument social, les deux pieds bien ancrés dans le ici et maintenant (nous sommes en plein Londres Sud, au cur d’une cité où des gamins de 15 ans jouent aux terreurs du quartier) et celle d’un cinéma potache et insolent, boosté par une énergie rebelle et trash forcément réjouissante (lesdites terreurs vont sauver leur quartier d’une invasion extra-terrestre, rien que ça).
L’idée est donc toute simple : faire de crapules de bas étage, de gamins gavés à l’ultra-violence et à la politique du moindre effort de vrais héros de cinéma, noblesse et sens des responsabilités et du bien commun en guise de bonus sur le chemin. Pas facile à admettre durant le premier quart d’heure, on le concède, alors que Cornish nous prend en otage aux côtés de ces vauriens venant juste de braquer une pauvre fille solitaire. Mais rapidement, l’idée se met amuser. Car si le cinéaste semble animé par la même vitalité geek que celle d’un J.J. Abrams, il oppose pourtant bien vite à une certaine naïveté nostalgique de l’auteur américain l’ennui, la crasse, la paresse, la bêtise et la méchanceté. Et d’un coup, comme au temps où les héros de cinéma pouvaient être affreux, sales et méchants ou faire partie d’une Wild Bunch, le spectateur se voit donner le droit de réfléchir lui-même à ce qu’est la morale, ce que sont le bien et le mal.
Pas de diktat éthique, donc, mais une bonne dose de dynamisme où se multiplient aussi les références à une pop-culture sans prestige, mais réjouissante. Une touche de gore, des extra-terrestres effrayants et vicieux (le cinéphile pourra même s’amuser à y voir une lointaine parenté avec le singe-fantôme d’Oncle Boonmee), une lampée de bibliothèque verte, Shaun of the Dead, Trainspotting, Boyz’n the Hood, Akira, Cours, Lola, Cours, E.T. ou Alien, bien sûr : chaque plan déborde, faisant écho à un imaginaire biberonné aux rediffusions télé et aux dvdthèques bien garnies. Mais, et c’est aussi sa force, Attack the Block, au-delà de ses ralentis épiques, de son rythme haletant, de son énergie sans faille un peu punk, c’est aussi un regard à la fois tendre et admiratif sur une jeunesse complètement laissée à l’abandon, une jeunesse oubliée sur le quai du train de la réussite, une jeunesse qu’on préfère laisser crever dans un coin tant qu’elle ne fait pas de bruit. Pied de nez impertinent et vif aux discours ayant entouré les dernières émeutes londoniennes, rappel que ces « vauriens » valent bien quelque chose, le film laisse aussi, le temps d’une scène héroïque, entrapercevoir la possibilité d’une réconciliation de l’Angleterre avec sa jeunesse. Le compte est bon.
Du panache, de la fougue, de la hargne, de l’impoli, du souffle d’air et de l’inventivité. Et cette question en suspens : finalement, faire financer son cinéma par les revenus de la loterie nationale, ce n’est peut-être pas si mal?
La bande-annonce d’Attack the Block
27 octobre 2011