Avatar
James Cameron
par Philippe Gajan
Donc, le DVD qui sera disponible ce vendredi ne comprendra pas de version 3D. HORREUR! À en croire de nombreux commentateurs de la scène culturelle, la troisième dimension était l’unique attrait de ce film à l’histoire simpliste, cliché, voire ennuyeuse (et 3 heures à s’ennuyer, c’est long…).
Qu’est-ce qui est donc passé par la tête des décideurs hollywoodiens pour qu’ils en sortent la version amputée d’une dimension (c’est comme cela qu’il faudra désormais parler de la 2D. On ose à peine imaginer le sort réservé dans le futur à un film en 2D, muet et en noir et blanc…) ? Encore un coup d’argent, alors qu’Avatar avait déjà réussi haut la main son pari d’être le fer de lance de l’entrée de la 3D dans les cinémas (la 3D représentait d’ores et déjà quelque chose comme 10% des recettes au guichet en 2009) et en attendant que la 3D domestique (euh… maison) ne révolutionne l’art de se divertir en famille ? Certainement, et à n’en pas douter, le DVD (et autre Blu Ray) ressortira, version 3D, lorsque le temps sera venu et que l’usage des lunettes rouges et bleues dites anaglyphes sera chose du passé. Mais en attendant, qui voudra de cette galette sans relief ?
Laissons pourtant de côté les considérations dimensionnelles, aussi fascinantes soient-elles, et intéressons-nous pour l’occasion à un film sagement ramené à la surface de notre téléviseur. Et posons la question : que reste-t-il ?
D’abord, il reste un film particulier par son rythme. Réglons rapidement cet aspect-là. Certains se sont ennuyés. La construction du film par séquences n’est certainement pas étrangère à cela. On retiendra Avatar beaucoup plus effectivement par ses séquences (la ballade dans la forêt, l’ascension vers les nids, etc.) que par leur articulation, et donc par la force de certaines de ses scènes-clés que par l’histoire, somme de ses parties. Cameron n’est certes pas le premier à faire reposer le poids du film sur ses séquences (qu’on pense à Tarantino, mais également aux frères Wachowski dans Matrix). Sans être totalement autonomes (le film va quand même d’un point A à un point B, d’où le simplisme qui a servi à condamner le film), ces histoires, sorte de micro-récits, sont plus denses, plus révélatrices et plus originales que l’histoire générale. L’esthétique même du film, et notamment le recours à la 3D, repose sur cette relative autonomie, chacun de ces micro-récits étant supporté par une nouvelle variante de l’utilisation du relief et possédant à ce titre son souffle propre. Si l’on voulait comparer au domaine littéraire, Avatar s’apparenterait plus à un recueil de nouvelles qu’à un roman.
Ensuite, il reste un film sur la frontière, comme tout western qui se respecte. Le western, le genre le plus épuré de toute la geste hollywoodienne, celui qui a su si bien vieillir (on reviendra là-dessus lors d’un prochain dossier) en se faisant notamment le fidèle dépositaire de la mythologie américaine, une mythologie qui a profondément évolué en un peu plus d’un siècle d’existence du genre au cinéma.
Dans un texte lumineux à paraître dans le prochain numéro de 24 images (le 14 mai), André Dudemaine analyse très justement et très finement les aspects européano-centristes et impérialistes du récit d’Avatar, énième variation du western révisionniste qui voit l’homme blanc épouser la cause des Indiens et accomplir ce faisant les rites pour devenir l’un des leurs (de Broken Arrow à Dancing With the Wolves en passant par Little Big Man…). Mais au-delà du rapport à l’Autre, ce que l’on pourrait résumer grossièrement par le premier sens donné au mot avatar (le dieu blanc venu offrir sa science militaire au peuple autochtone), ce qui retient l’attention dans le film de Cameron est beaucoup plus le jeu de rôle auquel prend part le «héros» Jack (les différentes identités qu’il endosse, ses «avatars»). Car, Cameron, en cela cohérent avec lui-même (on pense au Titanic par exemple), dresse là un portrait extrêmement ambivalent de l’Amérique illustré par l’itinéraire du héros et ce portrait n’est franchement pas rose. Cet itinéraire passe par au moins trois états, trois avatars : le guerrier blessé, privé de l’usage de ses jambes, qui pourrait être le stigmate de toutes les guerres menées par des États-Unis impérialistes, du Vietnam à l’Irak; l’avatar à proprement dit, c’est-à-dire dans ce cas une créature hybride qui ne connaît pas encore son allégeance finale; et enfin celui qui meurt (et plus seulement symboliquement comme ce pourrait être le cas lors d’un rituel) pour renaître en liberté (de mouvement comme de pensée) comme Na’vi à part entière, représentant d’un peuple écolo en harmonie avec sa planète nourricière. Dans cet itinéraire qui emprunte trois corps, il y a plus qu’un vu pieux ou encore un message adressé à la Nation sur le mode : «réagissez avant qu’il ne soit trop tard !». Il y a là un profond rejet d’une certaine Amérique, comme le sentiment d’un point de non-retour que justement symboliserait la mort du personnage.
Car, contrairement à Lucas qui, dans Star Wars en 1977, au lendemain de la guerre du Vietnam, proposait en un spectaculaire retournement d’inverser les rôles et de donner aux Vietnamiens le rôle de l’empire militaro-industriel du Mal et aux Américains celui des rebelles du côté des forces du Bien, Cameron dans Avatar, par une non moins spectaculaire avalanche de symboles, confirme les États-Unis dans leur rôle d’Empire militaro-industriel du Mal en faisant culminer sa démonstration par ce moment plus qu’étonnant où l’armée américaine rejoue l’épisode traumatique du 11 septembre et abat l’arbre-totem des Na’vis. Il fallait quand même le faire…
Avatar est résolument un film post-11 septembre. Ce faisant, c’est un film qui délivre un avertissement très fort, bien plus fort que la fable écologique un peu édulcorée à laquelle on a souvent voulu le cantonner. Chaque séquence pourrait probablement être convoquée à cet effet. Mais il suffit peut-être simplement d’en appeler au duel (presque final), moment ô combien précieux par sa force mythologique dans un western. Ce duel met aux prises l’avatar de Jack et son colonel protégé par un exosquelette. Au niveau symbolique, ce sont deux propositions post-humaines qui s’affrontent. D’un côté, le chef militaire américain qui fait corps avec la machine, ou plutôt qui a été avalé par la machine, sorte de cyborg dont la dernière parcelle d’humanité aurait été dissoute comme lors d’un pacte passé avec le diable; et de l’autre, l’Avatar qui s’apprête à mourir pour permettre à Jack d’assumer sa nouvelle identité post-humaine en résonance avec la nature. Quelque part Terminator n’est pas loin ! Devinez qui va gagner et ainsi sauver l’humanité !!
22 avril 2010