Critiques

Away we go

Sam Mendes

par Bruno Dequen

Est-ce la crise de la quarantaine?  Les angoisses de la paternité?  La difficulté de vivre en couple avec une actrice?  Toujours est-il que Sam Mendes semble manifestement très préoccupé par les affres de la vie conjugale ces temps-ci.  Alors qu’il nous avait habitués à un rythme créatif plutôt confortable et prévisible (un film aux trois ans jusqu’à cette année), voici que l’ « academy award winner » anglais nous propose, à peine cinq mois après la sortie de son déprimant Revolutionary Road, un nouveau portrait de couple. Mais là s’arrêtent les similitudes entre les deux œoeuvres.

Tourné alors que Mendes était en pleine post-production de son drame non-oscarisé, Away We Go se veut, selon les dires de son réalisateur, le pendant lumineux du film précédent.  Le drame conjugal en quasi huis clos est suivi par un road-movie doux-amer centré sur une série de rencontres; les années 50 ont remplacé l’époque contemporaine ; deux acteurs de la télé (John Krasinski et Maya Rudolph) succèdent aux superstars de Titanic et des chansons folk répétitives remplacent les mélodies de piano répétitives.

Mais surtout, rien dans les films précédents de Mendes ne pouvait laisser entrevoir l’apparition de personnages tels que Burt et Verona. Jeunes, en santé, intelligents, drôles et amoureux comme au premier jour, nos deux tourtereaux attendent avec une angoisse somme toute plus que modérée (sachant qu’ils n’ont pas un rond et qu’ils habitent un taudis glacial au fin fond du Colorado) l’arrivée imminente de leur premier enfant.  Or, les parents de Burt, qui sont l’unique raison de l’installation du couple dans ce merveilleux État, leur annoncent qu’ils déménagent pour la Belgique. Déçus (mais pas trop quand même, ils sont trop gentils pour ça), nos héros décident d’aller rendre visite à une série de connaissances dans plusieurs États (incluant Montréal!) afin de trouver l’environnement parfait pour élever leur bébé.

Aucun film de Mendes n’a à ce point divisé les critiques américains.  Au coeœur des débats, la représentation des personnages secondaires rencontrés par le couple. À Phoenix, une mère vulgaire, alcoolique et bipolaire aux enfants obèses et dépressifs. À Boston, une universitaire new-age anti-poussette. À Montréal, une famille dont le comportement festif et la quantité inquiétante d’enfants adoptés ne servent qu’à masquer le profond désespoir né de multiples fausses-couches. À Miami, le père d’une petite fille qui vient de se faire quitter par sa femme. Bref, il n’y a pas un seul modèle de vie de famille saine dans le film. Et si certaines séquences, prises isolément, peuvent faire sourire (dans la première partie) ou émouvoir (dans la seconde), c’est l’accumulation d’anti-modèles et surtout la réaction de notre couple qui finissent par poser problème.

Dans sa critique particulièrement assassine, A.O. Scott du New York Times déclare que le film de Mendes, à l’image de son couple central, est d’une condescendance rare.  Les personnages secondaires ne seraient là que pour rehausser la perfection de nos héros qui, de toute façon, se sentent supérieurs au reste du monde. À l’opposé, Roger Ebert dans le Chicago Sun Times considère que le couple est un beau modèle, et que l’accusation de condescendance est sinon injustifiée (puisqu’ils demeurent presque toujours patients et gentils), du moins compréhensible (puisque tous les personnages leur sont effectivement inférieurs!).

Ebert a raison. Burt et Verona ne sont pas condescendants. Complètement absorbés par leur petit bonheur, ils sont au contraire simplement indifférents à ceux qui les entourent.  Bien sûr, ils écoutent (passivement la plupart du temps), mais ils ne retiennent finalement que ce qui peut leur servir. C’est à se demander pourquoi ils font ce voyage. Quels que soient l’endroit ou les rencontres, Burt et Verona vivent dans leur bulle, complètement imperméables aux événements extérieurs. Même si la sœur de Verona lui exprime tout son attachement, notre héroïne ne pensera pas une seconde à s’installer dans le coin. Pire encore, Burt, réalisant que son frère est terrifié à l’idée d’élever sa fille seul, passe quelques coups de fils pour trouver son ex-belle-sœoeur, puis poursuit tout naturellement son chemin, accompagné par l’une des nombreuses chansons folk dont la redondance ne fait qu’accentuer l’absence d’évolution de nos protagonistes. Pourquoi s’ouvrir aux autres quand on est si bien à deux?

Away We Go est en fait l’anti-road-movie par excellence, puisqu’il semble prôner ultimement le repli sur soi comme modèle de vie.  Indifférents au monde extérieur, enfermés dans un bonheur enfantin et dénué de la moindre responsabilité, Burt et Verona n’ont plus qu’à s’installer dans le seul endroit fait pour eux, l’ancienne maison familiale de Verona.  Ainsi, complètement coupés du monde, ils pourront enfin vivre leur bonheur sans interférence, et Verona pourra même se convaincre qu’elle n’avait en fait jamais quitté ce merveilleux lieu de l’enfance parfaite. Il y a dix ans, dans American Beauty, la régression adolescente semblait être la seule solution trouvée par Lester Burnham pour s’évader d’une vie adulte qu’il avait ratée. Aujourd’hui, Verona et Burt décident de s’isoler du monde et de retourner dans la maison de l’enfance.  Le retour en enfance comme seule solution au piètre état de la société?  Comme vision lumineuse, on a déjà vu mieux.

 


18 juin 2009