BARBIE
Greta Gerwig
par Ludi Marwood
Barbieland… ce pays où les Barbie naviguent paisiblement entre leurs métiers de présidente de prix Nobel de littérature et de doctoresses, sans compter les après-midis de plage avec les Ken. Ce paradis où les jours sont tous plus extraordinaires les uns que les autres, où la nourriture n’existe que dans l’imagination et les voitures se conduisent toutes seules. En bref, ce royaume parfait. Parfait ? Pas pour Barbie Stéréotype (Margot Robbie), la Barbie originale, qui commence à dérailler, à penser à la mort en plein milieu d’un party, à avoir mauvaise haleine le matin, à poser ses talons, éternellement levés, sur le sol, et surtout, surtout, à avoir de la cellulite. La raison ? Sa petite propriétaire est triste. Pauvre Barbie qui doit partir dans le monde des humain·e·s pour retrouver « son » enfant, prenant la route, et le bateau, et la motoneige, accompagnée d’un Ken (Ryan Gosling) en perpétuelle admiration devant elle. Or, dans le vrai monde, les femmes n’occupent pas des postes aussi prestigieux que les Barbie de Barbieland. Barbie et Ken découvrent alors que le sexisme existe. Après ces quelques trente minutes essoufflantes mais amusantes, posant une situation initiale plutôt prometteuse, Barbie déploie une multitude de péripéties toutes plus rocambolesques les unes que les autres, offrant une comédie haute en couleur… du moins, c’est ce qu’espère sans doute ce film cumulant trop de tout : de décors, de costumes, de personnages, etc. Au final, Barbie n’est qu’un film sans substance noyé dans une surdose de faux féminisme rose, un long-métrage plutôt écœurant à la sauce de jouet pour « filles ». Alors, what’s the Mattel with Barbie ?
Lorsque Barbie rencontre Sasha, l’adolescente qui jouait avec elle, cette dernière est tout sauf ravie de voir sa poupée. Dans un des rares moments pertinents du film, Sasha crache sa haine contre Barbie, la mettant face à son incapacité à aider les femmes de la société occidentale. Au contraire, Barbie les a enfermées dans des idéaux de beauté impossible à atteindre. Selon Sasha, la poupée est l’incarnation de la société de consommation, le jouet par excellence du patriarcat,une pierre de plus dans la destruction de l’environnement. Ce fabuleux discours, on ne peut plus véridique, aurait pu avoir un certain impact s’il n’était pas mis dans la bouche d’un personnage illustrant le trope par excellence de l’adolescente rabat-joie, en pleine « crise d’ado » : habits et maquillage sombres, furieuse contre tout. La parole alors décrédibilisée est presque immédiatement contrebalancée par l’arrivée de Gloria, la mère de Sasha, qui s’avère être la véritable personne jouant avec Barbie. Car Gloria aime la Barbie de sa fille, cette mirifique poupée qui la sauve de son quotidien de femme « ordinaire », lui offrant une échappatoire au métro-boulot-ado. D’opposer la joie d’une mère face à la rage d’une adolescente minimise la pertinence du propos de Sasha, le réduisant au cliché de l’ado qui est contre tout et surtout contre ce qui est aimé de ses parents.
La colère de Sasha s’étant mystérieusement dissipée, cette dernière accepte de suivre Gloria et Barbie à Barbieland. Ô damnation ! Elles y découvrent que Ken y a importé le patriarcat et asservi les autres Barbie. Heureusement, Gloria est sortie de sa caverne et a pris conscience du poids que la société patriarcale exerce sur elle. Des oppressions qu’elle dénonce dans un discours aux allures émancipatrices. Choisir de centrer le film sur l’évolution du personnage de Gloria, un personnage d’adulte, de mère qui plus est, n’est pas anodin. Gloria est l’illustration parfaite du public cible du groupe Mattel, la femme moderne « ordinaire », la « ménagère » contemporaine qu’il faut (re)convaincre de la modernité des poupées Barbie. On peut sans doute apprécier la mise en valeur d’un personnage « légèrement » oublié par le cinéma hollywoodien. En effet, les actrices ont tendance à disparaître après 40 ans, ressurgissant des profondeurs de l’oubli à l’âge de jouer des grands-mères. Néanmoins, son discours libérateur se trouve amoindri par le fait que son personnage est ancré dans une probable stratégie marketing, Gloria insistant d’ailleurs un peu trop sur l’idée qu’elle est une femme « ordinaire », comme nous tou·te·s. Ces paroles sortant de la bouche de la superstar America Ferrera, on a un peu de peine à y croire.
Après la montée au pouvoir des Ken, Barbie, Sasha et Gloria décident de renverser le patriarcat de Barbieland et sauver les autres Barbie, déprogrammées par les Ken. Leur stratégie pour y arriver : émanciper les femmes et agir en collectivité. Si Greta Gerwig a compris les bases du féminisme, elle semble oublier que des discours se sont développés depuis les revendications de la deuxième vague. Forte d’un propos féministe 101, la quête des Barbie se fraye tant bien que mal un chemin entre les nombreuses lignes narratives des personnages, les méta-références, passant de 2001 : A Space Odyssey, à The Matrix ou encore Grease, les décors et clins d’œil. Le film se perd dans ce trop-plein de propositions et le discours féministe finit par se limiter à une réflexion résolument simpliste sur la question des genres. Car parler de Barbie, c’est se confronter aux stéréotypes de genre, aux performances sexisées. C’est réfléchir à l’association des femmes aux robes, des hommes au bleu, c’est se pencher sur la question de l’hégémonie des corps blancs, minces, occidentalement parfaits. Si le film esquisse ces réflexions, ces dernières restent en surface, se contentant de prendre acte de leurs poncifs dans le nom de la Barbie Stéréotype, se satisfaisant d’une distribution multi-diversifiée, quasi inutile, pour cocher les cases de l’inclusivité. Tout au long du film, les personnages martèlent que Barbie est un jouet de petites filles. Le film reproduit une performance « parfaite » du genre féminin en effectuant une mise en valeur de la féminité dans les attributs dont la société l’a parée. Il l’ancre sans la remettre en question et, malgré lui, en devient l’un des gardiens. Car, non, la poupée Barbie n’est pas réservée qu’aux petites filles, et, non, le genre féminin, ce n’est pas que du rose et des poupées.
28 juillet 2023