BEETLEJUICE BEETLEJUICE
Tim Burton
par Sylvain Lavallée
Beetlejuice Beetlejuice. Ce titre en dit déjà long : la répétition est un clin d’œil amusé, dans la mesure où elle joue sur la formule invocatrice du démon (dire son nom à trois reprises), tout en invitant d’emblée à une autre suite qui compléterait l’incantation. En même temps, le redoublement du titre nous indique aussi qu’il n’y a peut-être rien de plus à attendre que la même chose, une autre fois, une énième reprise nostalgique d’une œuvre ayant bercé l’enfance des adultes d’aujourd’hui. Dans le cas d’un film comme Beetlejuice (1988), qui se distinguait par son concept excentrique, son humour morbide, irrévérencieux et son esthétique singulière, le fait de passer à travers la formule dorénavant bien établie du legacy sequel (ou legacyquel) ne peut qu’en diminuer l’originalité, tout en nous rappelant à quel point il s’agissait d’un objet étrange. Alors durant le visionnage de cette suite, on est à la fois épaté par le fait de retrouver un univers dont la bizarrerie a été suffisamment bien préservée, et déçu par la paresse d’une proposition qui n’a rien à ajouter, ni au film original ni aux conventions contemporaines qu’elle emprunte.
Le scénario est un pastiche du premier auquel on a greffé quelques préoccupations du moment : Beetlejuice (Michael Keaton) veut encore marier Lydia (Winona Ryder), et on repasse à travers les mêmes décors (la maison hantée avec la maquette au grenier, la salle d’attente de l’au-delà, le désert avec son ver de sable) en suivant de près la structure de l’original. Mais cette fois, bien sûr, Lydia a une fille, Astrid (Jenna Ortega), qui refuse de croire que sa mère peut voir les fantômes, et qui a perdu son père il y a quelques années, ce qui permet d’introduire le thème du deuil et une relation mère-fille houleuse (sur trois générations, Catherine O’Hara reprenant son rôle de la belle-mère de Lydia). Beetlejuice Beetlejuice se contente ainsi de cocher toutes les cases du legacyquel sans rien approfondir, et en utilisant l’inévitable nostalgie pour compenser l’inertie du scénario : pourquoi développer des personnages quand il suffit de nous rappeler pourquoi on les aimait il y a trente-six ans ?
Et pourtant, puisque Beetlejuice était, comme bien des films de Tim Burton, une farce sur la mort, l’occasion était belle pour reprendre un thème comme le deuil, si omniprésent aujourd’hui, et le détourner par le rire. Mais cette suite ne sait pas sur quel pied danser, écartelée entre sa vision moqueuse d’un au-delà en décors de carton-pâte et son désir de traiter respectueusement le drame d’Astrid, dont le sérieux paraît quelque peu ridicule dans le contexte de cet univers. Même chose pour ce qui est des effets spéciaux, le mariage entre les effets visuels pratiques et ceux faits par image de synthèse opérant très mal : une belle panoplie de corps démembrés ambulants, fabriqués à la main, côtoie des séquences optant pour un numérique qui apparaît étrangement désincarné, par exemple quand un personnage recolle son corps morceau par morceau. Le problème ne tient pas tant aux conventions scénaristiques actuelles ni aux effets spéciaux par ordinateur, mais plutôt au fait que Beetlejuice Beetlejuice n’arrive jamais à bien conjuguer l’ancien (simplement copié) avec le nouveau (simplement plaqué).
Comme pour essayer de cacher cette incohérence, le film multiplie les intrigues secondaires : le nouvel amant pathétique (Justin Theroux) de Lydia, l’ex-fiancée (Monica Bellucci) de Beetlejuice qui cherche vengeance, l’acteur devenu policier (Willem Dafoe) dans le monde des morts, l’intérêt amoureux d’Astrid (Arthur Conti)… Ce foisonnement permet au cinéaste d’inclure plusieurs scènes mémorables, quelques flashs visuels plus inspirés, et des apartés cinéphiles surprenants dans le contexte d’un blockbuster (entre autres, un hommage au Black Sunday de Mario Bava), en plus de laisser place à des performances colorées : Keaton reprend son rôle avec une malice redoublée, O’Hara n’a rien perdu de sa folie, Dafoe s’amuse dans une caricature de dur à cuire et Ortega s’inscrit naturellement dans la lignée des stars de Burton, alliant l’excentricité ténébreuse à la mélancolie. Mais le film ne semble pas assumer ce côté éparpillé et passe finalement la majorité de son temps à introduire un bassin d’intrigues pleines de potentiel, comme dans un pilote de série télévisée, qui devront ensuite être résolues trop rapidement. Alors quand tout converge vers une finale opératique, plutôt réjouissante, celle-ci n’arrive pas à prendre une véritable ampleur tant la majorité des pistes ouvertes sont restées au stade de l’ébauche.
Dommage, car il y a bien un plaisir à retrouver l’univers visuel de Burton, qui n’a pas été aussi imaginatif depuis longtemps, peut-être parce que cette fois il retourne vers une de ses propres créations (contrairement à ses incursions chez Disney ou Netflix). Un fourre-tout généreux autour du concept de Beetlejuice aurait pu être amplement jouissif, mais même dans les meilleurs moments, le cinéaste n’arrive pas à reprendre le ton ironique de l’original ni à surpasser (ni même à égaler, sauf lorsqu’il copie) sa galerie d’inventions visuelles. Et si son intention était d’apporter une épaisseur émotionnelle, Burton ne parvient pas non plus à conjuguer sa sensibilité mélodramatique, comme il savait si bien le faire autrefois, à une mise en scène traitant le gothique par la caricature, et peine à garder cet équilibre des plus délicat entre l’expressionnisme d’une image exhibant les signes de sa fabrication et des protagonistes sincères, émouvants dans leur solitude. Il ne reste qu’un brin d’extravagance et de joyeuse absurdité, un plaisir du travail artisanal, ce qui suffit, au moins, à distinguer le film de ses contemporains et à lui conférer un certain charme. Cela dit, il faudrait sans doute éviter de répéter une troisième fois le nom du démon, avant que son anarchie moqueuse soit complètement diluée.
12 septembre 2024