BILLY
Lawrence Côté-Collins
par Robert Daudelin
Dans le paysage relativement calme du cinéma québécois actuel, le film de Lawrence Côté-Collins fait figure de coup de poing au ventre, ou mieux encore d’électrochoc. Pourtant Billy est un film d’amitié et de tendresse.
Reprenant contact avec son ancien ami désormais derrière les barreaux pour mort d’hommes, la cinéaste tend la main à celui qui fut jadis son agresseur et qui se débat désespérément avec les démons de la schizophrénie. Pour ce faire, Côté-Collins vide son coffre d’outils : fiction, documentaire, animation, même cinéma expérimental sont mobilisés pour dessiner le paysage dévastateur d’une maladie insaisissable.
Si Billy peut prétendre à être un documentaire sur la schizophrénie, c’est que nous avons le sentiment, tout au long de cette tempête d’images, de voyager à l’intérieur de la tête du personnage qui, en plus, commente lui-même fréquemment ce qu’on voit à l’écran. Histoire d’une amitié reconquise, le film se déroule à la première personne, la cinéaste précisant la chronologie et liant son histoire personnelle à celle de Billy, de ses frasques jusqu’à la découverte tardive de la schizophrénie responsable de sa violence.
Actif au sein du groupe Kino à partir de 2006[1], Billy a laissé derrière lui, dans un désordre complet, des centaines de petits films (tous formats confondus : VHS, Super 8, MiniDV). Qui plus est, une caméra VHS a fait partie de la maison familiale depuis sa tendre enfance. Ce sont ces images, répertoriées et numérisées par la cinéaste, qui constituent la base du film et nous permettent une connaissance, tant intime que fréquemment troublante, de Billy. Viennent s’ajouter à ces précieux documents les carnets (journaux intimes et notes en tous genres), souvent indéchiffrables parce qu’appartenant, selon leur auteur, à une « algèbre » qui lui est propre, carnets qui, lus par le comédien Alexandre L’Heureux, tiennent lieu périodiquement de commentaire du film.
Film éclaté s’il en fut, Billy n’en est pas moins une œuvre très construite, avec ses trois temps et une progression qui, des faits à l’identification de la maladie qui hante la vie de Billy, débouche sur une apothéose bouleversante où Billy demande à prendre la parole lui-même. Le travail de la cinéaste est ici patent : à partir d’un matériau énorme autant qu’informe, elle a su articuler un discours qui devient un plaidoyer en faveur d’une compréhension active de ce qu’est la schizophrénie et de la place qu’elle occupe, à notre insu, dans nos sociétés. Il va sans dire que l’étape du montage, qui s’est poursuivie pendant quatre ans, a été déterminante dans la mise en forme du film, et on ne sera pas surpris de voir le nom de trois monteur·se·s au générique de fin. Derrière ses allures de bombe à retardement, le film a son rythme bien à lui, avec ses collages animés qui sont autant de digressions qui toujours viennent enrichir le portrait de cet homme torturé, « pas dépressif, pessimiste », comme il aime à nous le dire.
Une autre composante essentielle de ce portrait est le traitement de la bande sonore. Complexe, loin de toute préoccupation réaliste ou illustrative, elle veut évoquer les voix qui assaillent le cerveau de Billy – la ventilation de la pièce de l’interrogatoire devenant même une de ces « voix » – et sont partie intégrante de sa souffrance. Le grand art de Benoît Dame a été ici très précieux et la conception sonore dont il est responsable participe étroitement à notre engagement vis-à-vis de Billy et à notre souhait de faire route avec lui.
Si, comme le prétend Billy, « la folie est une espèce de bleu insupportable » (comme l’auto qui le ramène en prison), son univers est très largement coloré et l’écran régulièrement éclate sous la poussée de pixels multicolores et, comme le son, cet usage de la couleur est hautement stylisé, fidèle à l’imaginaire de Billy. La cinéaste n’hésite jamais à faire violence à l’image, à déchirer l’écran au besoin, bousculant les images pour mieux organiser leur désordre apparent.
L’histoire de Billy, telle que nous la propose Lawrence Côté-Collins, se déroule sur une vingtaine d’années et c’est là aussi une des grandes réussites du film : à partir d’éléments littéralement trouvés dans une valise oubliée, recréer la vie éminemment complexe d’un homme qui se cherche, ignorant qu’un mal terrible lui barre le chemin. La découverte de sa schizophrénie est une délivrance pour Billy qui pourra enfin être « déprogrammé », comme il aime le dire, mais c’est aussi un événement tragique dûment inscrit dans son beau visage dans la séquence finale du film.
Lawrence Côté-Collins souhaite vivement que Billy soit un outil de sensibilisation à la schizophrénie, ce qu’il est sûrement. Mais c’est aussi une œuvre de cinéma, aussi originale que dérangeante, une œuvre éminemment personnelle qui allie harmonieusement information et émotion.
[1] Un court extrait de Pas de gain, pas de pain (2009) vient nous le rappeler, en un rapide clin d’œil.
23 mai 2025