Bird People
Pascale Ferran
par Éric Fourlanty
Pascale Ferran est une réalisatrice vraiment hors-normes, de celles qui ressurgissent là où on ne les attendait pas. Petits arrangements avec les morts, Lady Chatterley et Bird People : elle n’a confectionné que trois films en 20 ans. Trois films en apparence dissemblables mais qui participent tous d’une même rigueur, quelque chose qui tient de l’artisanat de haut vol. Si on voulait généraliser, on dirait que son premier film traite du deuil, le second, du désir et le dernier, de la solitude. Des termes exacts mais réducteurs tant les films de cette cinéaste atypique sont irréductibles.
Bird People démarre dans une rame de métro parisienne, celle du RER qui relie la capitale à Charles-de-Gaulle. Ce trajet sans âme qui traverse des no man’s land industriels, des banlieues mornes et des terrains vagues d’une autre époque. La caméra n’est pas tournée vers les paysages qui défilent mais vers les visages de ceux et celles qui ne les voient plus depuis longtemps.
La cinéaste filme simplement ces solitudes à l’unisson, ces étrangers seuls ensemble: l’un joue du bout des doigts sur son IPhone, l’autre fait sa liste d’épicerie dans sa tête, un troisième somnole, deux amies discutent, deux autres sont silencieux côte à côte, etc. Toute une humanité telle qu’on le voit et qu’on la partage au quotidien. Puis, il y a ce visage-là, magnifique, celui d’une étudiante aux yeux rieurs et mystiques (Anaïs Desmoutier), qui s’animent à la vue d’un moineau qui se pose, et qui fait des ménages au Hilton de Roissy. On pense être dans un film franco-français mezzo voce, naturaliste, tendance neurasthénique et puis débarque un business man américain (Josh Charles) en escale, qui nous emmène dans sa réunion d’affaires in english sous-titrée, puis dans sa crise existentielle, toute aussi sous-titrée. Le film attendu déraille un peu, le rythme s’emballe doucement et on croise brièvement Hyppolyte Girardot et Roschdy Zem in english, business man oblige. Ensuite, accalmie.
Les aéroports sont de fabuleux terrains de jeux pour un(e) cinéaste. Rencontres, adieux, échanges, attentes et précipitations : ces lieux de passage sont faits d’architectures, d’humains et de mouvements, toutes choses éminemment cinématographiques. Ici Ferran prend ses protagonistes à rebrousse-poil, l’un choisit ce lieu transitoire pour s’y arrêter et l’autre y travaille dans une absence totale de romanesque.
Deux trajets, qui se croiseront, bien sûr, à la toute fin, mais le propos du film n’est pas là. Deux destins, l’un qui amorce une vie de routine et d’il-faut-bien-vivre à la petite semaine, et l’autre qui décide de tout lâcher d’un coup, travail, famille et patrie. « J’ai l’impression de me dissoudre comme un bout de sucre au fond d’une tasse », dit-il. Il est dissous au fond de sa vie, elle ne l’est pas encore, jeunesse tout d’un bloc, mais ça ne saurait tarder.
Alors qu’on pourrait se croire dans un état des lieux de la mondialisation de nos vies interconnectées, Pascale Ferran nous concocte une scène de rupture via Skype entre l’Américain et sa femme. C’est la pièce de résistance un peu trop avouée de ce film par ailleurs discret au-delà de tout soupçon. Nous pensions être confortablement installés dans un Scènes de la vie conjugale à l’ère Twitter et c’est là que le film décolle. Littéralement, mais dans une direction qu’on n’aurait jamais pu imaginer.
Ce changement de cap radical – qu’on ne saurait dévoiler, tant pour ne pas tuer l’effet de surprise que pour ne pas mettre en danger l’équilibre même du film – fait basculer le récit dans un univers poétique totalement inattendu. Seul Resnais, Cavalier ou certains Japonais se permettent de telles ruptures de ton, une telle liberté. Ce coup de bluff absolument réussi lance le film dans une autre direction mais, en bout de ligne, il garde toute son intégrité. Celle d’un film superbement fragile, en équilibre entre la gravité et l’apesanteur. Un film qui respire. L’un des plus surprenants de 2014.
La bande-annonce de Bird People
4 Décembre 2014