Critiques

Black Book

Paul Verhoeven

par Cédric Laval

Pour son retour dans sa Hollande natale, Paul Verhoeven n’a pas fait dans la facilité : Black Book est un drame historique qui explore une période largement visitée par les cinéastes de tout acabit, celle de la Seconde guerre mondiale, avec son lot d’épisodes tragiques et sa galerie d’archétypes difficile à esquiver. Nazis, juifs et résistants se croisent donc (parfois jusqu’à brouiller les pistes…) dans ce film de guerre qui lorgne du côté du thriller davantage que de la page d’histoire savamment retranscrite.

S’il se réclame d’un argument de vente traditionnel («basé sur une histoire vraie»…), le film n’est pas pour autant astreint à une ligne événementielle prédéterminée et se laisse porter par une énergie narrative plutôt réjouissante (les 2h25 du film passent comme lettre à la poste). L’héroïne, Rachelle Stein, a échappé par miracle à un traquenard dans lequel sa famille a été massacrée par les Allemands. La soif de vengeance lui fait prendre contact avec la résistance hollandaise, et elle sait user de son charme et de ses talents de chanteuse pour infiltrer le quartier général nazi installé à La Haye, sous le pseudonyme de Ellie de Vries. En particulier, elle parvient à séduire l’officier Müntze, non sans perdre pied dans ce piège de la séduction qu’elle a elle-même tendu… Ces quelques lignes de synopsis ne couvrent qu’une part infime des multiples rebondissements concoctés par Paul Verhoeven et Gerard Soeteman, qui tiennent le spectateur en haleine sans lui laisser le temps de faire une pause pour s’inquiéter vraiment des incohérences du scénario. Certaines scènes improbables, quelques ressorts psychologiques mal tendus, les rebondissements téléphonés par le gars des vues, pèsent comme bouchon d’écume dans le flot puissant de la narration. Mieux que cela : le scénario semble digérer ses propres incohérences jusqu’à en faire le moteur premier de cet élan qui porte le film vers un espace de jouissance où se libèrent les forces pures de la «fable».

C’est là toute l’efficacité, mais aussi toutes les limites du film de Verhoeven. Soutenues par un sens du rythme qui ne faiblit jamais, le réalisateur découpe ses scènes avec maestria, fait alterner suspense et drame jusqu’à laisser glisser dans la noirceur du propos quelques notes comiques, aidé en cela par l’interprétation protéiforme, sinon totalement convaincante, de Carice Van Houten. Étonnante actrice, aux prises avec un étonnant personnage, que le réalisateur se complaît à ballotter au gré d’épreuves incessantes, parfois à la limite d’une gratuité sadique et suspecte (la scène des excréments…). Ce tempo allègre, cette héroïne histrionique, font davantage penser à des aventures «cartoonesques» qu’à un film de guerre réaliste (réalisme dont se réclamait pourtant Verhoeven), soutenues dans ce sens par une musique omniprésente qui souligne les rebondissements, parfois jusqu’au pastiche. Tout ceci, donc, ne servirait qu’à cautionner le plaisir si le contexte choisi (la Seconde guerre mondiale) n’était pas anodin, si les revirements psychologiques des personnages (le plus spectaculaire étant celui de l’officier nazi) ne soulevaient pas des questionnements moraux, difficiles à traiter avec justesse et profondeur sur le tempo choisi et dans le cadre esthétique fixé par Verhoeven. Au final, après évaporation du plaisir, le trouble s’installe quant au discours véhiculé par cette fiction énorme, «basée sur une histoire vraie»…

 


27 septembre 2007