Blow Out
Brian De Palma
par Marcel Jean
Brian De Palma appartient à la génération des Francis Ford Coppola et des Martin Scorsese, ces cinéastes cinéphiles nés pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui ont fait le Nouvel Hollywood. On lui doit notamment la découverte de Robert de Niro (dans Greetings, qui date de 1968) et les débuts au cinéma de John Travolta (dans Carrie, en 1976). Pourtant, sa notoriété n’a rien de comparable avec celle de ses confrères nommés plus haut. Pour certains, De Palma est un cinéaste mineur empêtré dans son admiration pour Hitchcock (Sisters; Dressed to Kill), pour d’autres un simple faiseur qui parvient grâce à ses excès baroques à donner un peu de piquant à de gros machins commerciaux (The Untouchables; Mission : Impossible).
Voici que l’excellent éditeur Criterion nous permet de redécouvrir Blow Out, l’une de ses oeuvres phares datant de 1981, en Blu-Ray. Excellente initiative, car Blow Out constitue une remarquable introduction à la manière De Palma, qui s’inspire ici du Blow Up d’Antonioni (un preneur de son - John Travolta - est témoin d’un crime; chez Antonioni, c’était un photographe) pour réaliser une fiction paranoïaque s’inscrivant dans la foulée des films d’Alan J. Pakula (The Parallax View; All the President’s Men). Le thème du complot est donc ramené au-devant de la scène (c’est l’effet Watergate), avec des références claires à l’assassinat de John F. Kennedy (le film amateur d’Abraham Zapruder) et à l’incident de Chappaquiddick (alors qu’une jeune femme, Mary Jo Kopechne, trouva la mort dans l’embardée d’une voiture conduite par Ted Kennedy).
Si Blow Out parvient à insuffler une certaine nouveauté dans ce genre de fiction politique, c’est donc d’abord par une attitude résolument postmoderne qui amène le cinéaste à composer avec une imposante trame référentielle, allant jusqu’à intégrer dans son récit un pastiche de slasher une scène de tuerie dans un dortoir pour jeunes filles. Plus encore, De Palma met en évidence l’artifice cinématographique en faisant de son personnage principal un concepteur sonore et en plaçant son meurtrier dans la position du metteur en scène (celui-ci maquille un crime politique en le faisant passer pour l’uvre d’un tueur en série). Blow Out s’affiche ainsi comme une uvre foisonnante, tant par la profusion de ses thèmes le complot, le mensonge, la paranoïa, mais aussi le cinéma et la mise en scène que par ses excès de style et son allure de quizz pour cinéphile. Blow Out, c’est du bonbon pour prof d’université, un matériau idéal pour faire plancher joyeusement des cohortes d’étudiants pressés d’étrenner leurs nouveaux outils d’analyse. Et si le film a pris quelques rides - la musique de Pino Donaggio a notamment très mal vieilli et son utilisation n’est pas toujours heureuse- , l’ensemble conserve une vigueur remarquable : le plan circulaire dans le studio du concepteur sonore est époustouflant et la scène d’action finale, dans le port de Philadelphie éclairé par les feux d’artifice du 4 juillet, étonne encore par sa démesure. Baroque et grandiloquent, De Palma est l’un des rares cinéastes capables de passer de la parodie à la tragédie dans un même film, presque dans un même souffle.
Comme on est en droit de s’y attendre, l’édition de Criterion est généreuse et fort soignée, à commencer par le transfert supervisé par De Palma qui rend justice à la photo du grand Vilmos Zsigmond et qui, surtout, met en relief le travail sonore (ce qui est essentiel, vu le sujet du film). Quant au reste, le Blu-Ray est bonifié par un long entretien avec De Palma mené par Noah Baumbach (le réalisateur de Greenberg) et, surtout, par l’ajout de Murder à la Mod (1967), deuxième long métrage tourné par le cinéaste, mais premier à avoir été distribué. Jusqu’en 2006, année de sa première édition DVD (toujours disponible en passant par amazon.ca), Murder à la Mod n’avait pratiquement pas été vu (on raconte qu’une seule copie du film avait été distribuée). Il s’agit pourtant d’une pièce essentielle pour comprendre le travail du cinéaste, un autre tissu de références qui convie à la fois le Michael Powell de Peeping Tom et l’Alain Resnais de L’année dernière à Marienbad. Les connaisseurs de la filmographie de De Palma y reconnaitront de nombreux signes annonciateurs de ses films suivants (en particulier Sisters, Dressed to Kill et Blow Out), ainsi que le motif du film dans le film qu’affectionne tout particulièrement le réalisateur. Parmi les autres suppléments, soulignons la présence d’entretiens filmés avec l’actrice Nancy Allen (incidemment ex-épouse de De Palma) et avec l’opérateur de Steadycam Garrett Brown (la Steadycam était alors d’un gadget relativement nouveau et Brown, à qui on doit aussi les obsédants plans de couloirs de Shining, était alors le maître incontesté de l’appareil).
Enfin, l’édition est complétée par un livret dans lequel on retrouve la critique que Pauline Kael a consacré au film au moment de sa sortie, ainsi qu’un texte de Michael Sragow détaillant la relation entre le cinéaste et la célèbre critique.
5 mai 2011