Je m'abonne
Critiques

Bonnie and Clyde

Arthur Penn

par Helen Faradji

Ils sont rares, les films qui ont véritablement changé le visage du cinéma. Les films qui historiquement sont devenus des étapes, des jalons, des bornes repères. Des films dont on dit il y un avant lui et un après. On peut les tenir dans un mouchoir de poche, les Jazz Singer, les Citizen Kane, les Cuirassée Potemkine, les Stagecoach, les Touch of Evil, les Persona, les Star Wars, les Bonnie and Clyde. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que ce dernier film est d’ailleurs réédité en dvd. Il y en aura eu des plus belles, des plus riches, des plus complexes, c’est certain. Mais celle-ci (le film, rien que le film et tout le film, chez Warner), toute pauvre qu’elle est a le double avantage de ne coûter qu’un ridicule pécule (11,99, c’est presque un cadeau) et de nous permettre d’évoquer ce morceau inoubliable de l’histoire du cinéma, dans l’histoire de la violence.

Tout commence par des photos sépias, héritage nostalgique d’un passé tout en style, présentation hors normes de ceux qui vont nous faire palpiter pendant près de deux heures. On y voit Bonnie Parker (inoubliable Faye Dunawaye), son béret de guingois, sa silhouette emprisonnée dans une robe ajustée, depuis devenue immortelle. On y voit Clyde Barrow (grandiose Warren Beatty), la moue rieuse, le costume de gangster, la séduction incarnée. Tellement beaux, les deux criminels, qu’on en a fait des chansons. Des mythes. Vive le Nouvel Hollywood.

Et puis, on se laisse entraîner tout le long d’une cavalcade meurtrière entre amants dans les années 30, aussi insouciante que furieuse, aussi rieuse que cruelle, avant que tout ne finisse par une tache écarlate s’agrandissant sur la robe blanche de Bonnie. « They’re young. They’re in love. They rob banks« , disait l’exergue…. Mélanger la joie, l’humour, l’énergie et le dynamisme formel au sang, aux armes? Ne jamais avoir peur de la métaphore sexuelle? La leçon choque, mais elle rapporte (10 nominations aux oscars en 67, dont 2 gagnés pour Estelle Parsons en meilleur second rôle et pour Burnett Guffey et son affolante direction photo, bouleversant les codes. Pas de meilleur film, les bonnes consciences ayant eu besoin de se rassurer avec le tiède In the Heat of the Night à la place). Cette leçon, les Coen, Tarantino et d’autres la retiendront par coeur d’ailleurs.

La rumeur raconte qu’à ses balbutiements, le projet était passé entre les mains de Truffaut, puis de Godard avant d’atterrir entre celles d’Arthur Penn et de Warren Beatty, producteur. Penn avait avant cela tâté de la télévision et du grand film, aussi avec The Left Handed Gun ou Mickey Gun. Mais avec Bonnie and Clyde, tout change. Le réalisateur trouve son sujet, ses acteurs. Le succès est total, au point que des années plus tard, ce film tient toujours, dans l’éveil du cinéphile, à peu près le même rôle que le poster du Che ou la lecture de l’Écume des jours dans celui de l’adolescent : une sorte de rite iniatique en forme de découverte du romantisme, d’un souffle révolutionnaire, d’un idéal tout neuf dont on se souvient à jamais.


29 janvier 2009