Je m'abonne
Critiques

Borat

Larry Charles

par Helen Faradji

Culte, phénoméne, hilarant, j’en passe et des meilleurs. Vouloir dresser le bilan critique suscité par cet objet comique non identifiable réalisé sans grand éclat par Larry Charles qu’est Borat : Cultural Learnings of America for Make Benefit Glorious Nation of Kazakhstan, c’est grimper sur un monticule d’adjectifs tous plus flatteurs les uns que les autres. Pourquoi? Vivons-nous dans un monde si triste et si coincé que la première irrévérence venue a l’effet d’une bulle d’air frais que tout le monde veut absolument respirer? Ou faut-il plus simplement reconnaître le réel génie humoristique de Sacha Baron Cohen, sorte de Candide britannique provocateur et apparemment sans limites, auteur et interprète de cette farce au succès planétaire.

Probablement un peu des deux. Car au fond, s’abreuver au portrait fait en filigrane d’un peuple américain affreux, sale et méchant, inculte, homophobe, raciste, sexiste et antisémite que nous offre un pseudo-journaliste kazakh nous fait à  la fois réaliser l’immense étendue de la bêtise humaine tout en nous faisant admettre sans peine que l’arsenal comique déployé par Borat est absolument irrésistible. D’une immense liberté (dont il testa déjà  les frontières à  la télévision dans son émission Da Ali G Show naissait le personnage de Borat), mettant son corps entier au service même de sa comédie, l’homme, bien plus malin qu’il ne veut s’en donner l’air, en arrive même à  redonner son plein sens à  l’expression certes galvaudée, « révélation ».

La farce tantôt légère et potache (il faut voir l’extrait où Borat prend des cours d’humour face à  un professeur au bord de la dépression nerveuse), sait également se faire cruelle, mais aussi parfois, il faut bien l’admettre, convenue (voir s’étaler l’homophobie de quelques rednecks n’est pas en soi une surprise).

Pourtant, c’est quelque chose d’autre qui grince dans Borat. Quelque chose qui n’est pas étranger à  cette invasion de nos écrans par ce poison qu’est la télé-réalité. Le coup du faux journaliste piégeant par ses questions naïves et apparemment anodines quelques « vrais gens » n’est certes pas nouveau. À leurs meilleures heures, ce fut même une des spécialités des comédiens français Pierre Desproges et Daniel Prévost (Le petit rapporteur). Mais le succès de Borat se rattache peut-être d’avantage à  ce drôle de besoin de « voir toujours plus de vrai », de voler une part d’intimité à laquelle en principe nous ne devrions avoir accès. Or, Borat, bien conscient qu’une accumulation de saynètes-vérité ne suffirait pas à  faire film ajoute à  celles-ci un fil rouge (la poursuite à  travers les États-Unis de la future femme de sa vie, Pamela Anderson) et quelques articulations crées de toutes pièces. Cette intrusion du faux dans le vrai, ou du vrai dans le faux, ne s’avouant jamais comme telle, gêne. Certes, le tout est drôle, très drôle même. Mais, le spectateur, délibérément placé le cul entre deux chaises, forcé de séparer le bon grain de l’ivraie ne devient-il pas alors lui-même le vrai dindon de la farce?


8 mars 2007