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Critiques

Borgen

Adam Price

par Helen Faradji

Borgen, série danoise plébiscitée un peu partout à travers le monde et bien sûr chez elle, traduite, récupérée, saluée et désormais disponible en DVD (uniquement en version doublée, il faut s’y faire), c’est assurément de la bonne télé. Pas de la grande télé. Mais de la télé comme il s’en fait depuis toujours, de bonne facture, honnête, bien intentionnée, avec les valeurs et le cœur à la bonne place, comme on dit. Comme Law and Order, E.R., Friends et tant d’autres. Des séries Wasp, principalement. Des séries qui ne dérangent pas, qui ne font pas marques mais qui n’ont pas non plus à rougir de se classer dans la catégorie divertissement de qualité.

Le problème, qu’incarne tout particulièrement Borgen, création d’Adam Price pour la chaîne DR1, c’est lorsqu’une de ces séries se met en tête de vouloir être plus. De, par exemple, vouloir se faire modèle à suivre d’un changement de mentalité, de fonctionnement social ou d’organisation politique. Le problème, c’est lorsqu’une série – médium, rappelons-le, d’une capacité unique et sur-puissante à modeler les idéologies contemporaines – décide d’aborder de grandes questions fondamentales au mieux vivre-ensemble, avec la naïveté et la candeur affolantes d’un petit enfant. De celles, précisément, qui font trébucher même « la bonne télé ».

Car Borgen, comme son sous-titre le précise (« Une femme au pouvoir« ), c’est d’abord et avant tout le récit de l’arrivée d’une femme, Birgitte Nyborg, au poste de Première Ministre au Danemark. Mise en scène « comme dans la vraie vie » (pour évoquer, chaussés de gros sabot, l’arrivée en 2011 d’Helle Thorning-Schmidt, la chef d’État adepte de selfies, dans l’arène politique danoise), c’est-à-dire dans ce cas sans réel effort de mettre en forme quoi que ce soit, Borgen pourrait en fait se voir comme le négatif absolu de House of Cards, toutes deux faisant d’ailleurs explicitement référence aux enseignements politiques de Machiavel pour ancrer leur propos. Car si Fincher repeignait les couloirs de la Maison Blanche et des différentes administrations américaines en noir corbeau, faisant du cynisme même plus qu’une valeur, une donnée fondamentale, Borgen, elle, chausse ses plus belles lunettes roses pour explorer un à un, avec un didactisme particulièrement agaçant, tous les clichés imaginables reliés à l’équation féminité + exercice du pouvoir.

Birgitte est boudinée dans son tailleur noir ? Pas grave, elle va s’assumer femme gironde dans une robe violette et va ainsi enfin pouvoir parler avec son cœur et remporter ses élections. Birgitte est surmenée, elle travaille beaucoup ? Une soirée pyjama avec fiston devant la télé ou une séance de jambes en l’air avec monsieur la consoleront. Birgitte a beaucoup de souci au travail, parce qu’on ne l’écoute pas ? Heureusement, son cher et tendre époux est là pour lui souffler la bonne attitude à adopter. Une réforme visant à instaurer la parité dans les entreprises privées doit être menée ? Vite, confions la à une Ministre ancienne mannequin lingerie, ce sera plus « vendeur » que de la confier à la Ministre de la parité, moins flamboyante et plus aigrie (puisque, c’est connu, il n’y a de pire ennemie pour une femme de pouvoir qu’une autre femme). Et si ladite Ministre-mannequin a en plus couché, dans ses folles années de jeunesse, avec le mari de ladite Première Ministre, ce sera encore mieux.

Exposant chaque enjeu « féministe » de façon incroyablement littérale et manichéenne, dressant autour d’eux une belle table bien proprette, sans aspérité aucune (et pourtant, la femme n’est-elle pas un animal politique comme les autres ?), et finissant, sans le vouloir, par les réduire à des questionnements sentimentaux de soap-opera – la fin de la série se résumant à la question : « Birgitte et son mari vont-ils se séparer ? » – là où on l’espérait au minimum révolutionnaire, Borgen traite cette arrivée de la femme dans le monde politique comme le ferait un magazine féminin. En surface, entre un reportage mode et une fiche cuisine, troquant alors une vision paternaliste du monde politique (celle distillée depuis des siècles) pour une vision maternaliste des choses (c’est en bonne mère de famille, sympa, drôle, réconfortante, mais capable d’autorité quand il le faut que Birgitte veille sur le destin de son pays). Ce n’est peut-être pas pire. Mais c’est aussi du sexisme. Par maladresse.

 

La chaîne YouTube consacrée à Borgen
 


30 janvier 2014