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Critiques

Braquo

Olivier Marchal

par Helen Faradji

Gangsters, 36 Quai des orfèvres, MR73 ou Les Lyonnais… le moins que l’on puisse dire, c’est que jusqu’à ce jour, les films réalisés par Olivier Marchal, ancien flic de son état, n’ont brillé ni par leur finesse, ni par leur intelligence. Du gros polar qui tache, voilà le créneau. De celui qui conjugue violence et virilité au mode spectacle et qui tente, tout effet dehors, de jouer sur les plates bandes de Corneau, Melville ou Miller, mais flirte bien plus volontiers, dès que les questions morales pointent leur nez, avec les réalisations de Delon ou de Besson. De l’oubliable, donc, qui se vante d’une accointance incritiquable avec le réel (tout ce que Marchal filme, il l’a vu dans son ancienne vie) en oubliant que l’obsession du vrai n’a pourtant jamais rien justifié au cinéma.

Chantage à l’émotion maladroit, efficacité à tout prix, mariage forcé entre la qualité et le populaire… les films de Marchal souffrent d’une télévisite aigüe. Mais paradoxe des paradoxes, c’est à la télé que le réalisateur finit par réussir à convaincre. Dans Braquo, série en huit épisodes suivis dans le temps qu’il a créée pour la chaîne française Canal Plus, quelque chose finit en effet par émerger. Quelque chose comme une conception de la mise en scène, toujours aussi énergique, mais enfin tendue vers autre chose que de protéger et servir les pans pans des armes survoltées et l’uniformité des caractères en uniforme pour mieux plonger au plus profond du quotidien d’Eddy Caplan et de son unité à la direction de la police judiciaire d’une banlieue parisienne.

Dès la première scène de Braquo, matrice originelle inspirée d’un fait-divers qui enclenchera une véritable descente aux enfers, le ton est donné. La caméra, sinueuse, se coule le long d’un grillage derrière lequel deux hommes s’invectivent. Le foyer change, laissant le flou se distiller dans nos esprits : qui est flic, qui est voyou? Puis le mouvement se fera circulaire, autour de cette scène cruciale, comme pour enfermer encore plus ce monde policier au creux des pièces inhospitalières aux murs de béton, avant que la violence n’explose, brutalement, sans prévenir et nous laisse pantois et sans défense. Braquo n’hésitera plus, à partir de là, à multiplier les plongées radicales (le jugement dernier attend les hommes et les femmes de mauvaise volonté), à traîner dans ses images vert-de-gris pour mieux signifier une certaine moisissure de l’institution policière, à se précipiter dans un montage sec qui dit mieux que le reste ces personnages à bout de souffle, systématiquement dans l’urgence ou à dessiner en très gros plans les traits de visages ravagés, désespérés. Le noir est corbeau, la lumière absente.

Dans cette ambiance délétère, facile de voir aussi un coup de griffe à la France sarkozienne, celle dans laquelle l’obsession sécuritaire a donné les pleins pouvoirs aux policiers. Celle où ces derniers, coyotes sans foi ni loi, ont, au nom du résultat, dépassé les bornes depuis si longtemps que, dans leur monde, la justice et la vérité ne sont plus que des notions bien relatives. Évidemment, aller au bout de ce chemin sans honneur, fait souvent tomber Braquo dans le piège du sensationnalisme, du surlignage et d’une complaisance gênante. La torture n’a même plus besoin de raison d’État, paravent derrière se cachait les actes odieux de 24. La violence est de chaque plan, tandis que la morale s’en échappe.

Mais, contrairement à The Shield, modèle apparent que s’est choisi Braquo et qui elle aussi faisait souvent de sa course policière infernale une excuse pour se vautrer dans le sordide, la série de Marchal ose aller encore un peu plus loin. Vers par exemple des acteurs choisis pour leurs gueules rudes et cernées, émouvantes et abîmées (dans le registre, Nicolas Duvauchelle, Karole Rocher et Joseph Malerba sont excellents), des seconds couteaux que Melville n’aurait probablement pas renié et surtout, surtout, vers Jean-Hugues Anglade, interprétant un Caplan se jetant à corps perdu dans une course à la survie, de plus en plus tragique, sans que jamais la série ne cherche à l’humaniser ou à excuser ses gestes. Caplan est un roc que des années d’embruns vicieux auraient pétri à la douleur et à la mélancolie, roc que Braquo observe au moment même où il comme à se fendiller et à menacer de perdre l’équilibre. Corps sec et regard fatigué, bonté qui peine à surgir derrière les calculs et les manigances, chef de meute qui n’a d’autre choix que de donner le change s’il ne veut pas tomber dans les abîmes, lassitude menaçant à chaque instant de l’engloutir : Caplan n’est même plus un ripou, mais un mort-vivant. Et depuis longtemps. Tellement en réalité que la rédemption n’est plus une option. Et si les quatre derniers épisodes de la série sont réalisés par Frédéric Schoendoerffer sur un mode plus brutal, plus brouillon, ils ne parviennent pas à anéantir le mystère, assez fascinant, de ce personnage ni flic, ni voyou, ni héros, ni salaud, ni aimable, ni détestable. Un homme, un vrai. De ceux qui nous font regarder les séries jusqu’au bout. De ceux avec qui on accepte de tomber au fond du trou.

 


12 avril 2012