Je m'abonne
Critiques

Café de Flore

Jean-Marc Vallée

par François Jardon-Gomez

Suivant les destins parallèles (mais qui se rejoindront) de Jacqueline, mère monoparentale d’un enfant trisomique dans le Paris de 1969, et d’Antoine, DJ montréalais qui tente, suite à sa rupture d’avec Carole (mère de ses enfants) de vivre pleinement son amour avec Rose, Café de Flore  est un film ésotérique et émotif qui n’arrive pas à s’élever à hauteur des attentes.

Le Café de Flore du film n’est pas le célèbre café de Paris, mais une chanson de Matthew Herbert/Doctor Rockit (les deux versions sont utilisées dans le film pour accentuer l’écho entre les récits). Chanson-symbole, hymne anachronique de cet «amour mythique» (celui de Jacqueline pour son fils Laurent), Café de Flore (et la musique dans son ensemble) s’impose comme le coeur du récit, à la fois ce qui fait vivre les personnages et ce qui ravive les souvenirs, mais aussi ce qui lie les époques entre elles. Au rythme des leitmotiv musicaux (la chanson d’Herbert, mais aussi l’introduction de Speak to me/Breathe), Vallée montre encore l’étendue de son talent tout particulier quant à l’intégration de la musique à la trame narrative (faire jouer cinq minutes de Sigur Ròs sans énerver le spectateur parce que la chanson a été surutilisée relève de l’exploit !)

Vallée rappelle également qu’il est un réalisateur hors-pair, faisant preuve d’un sens aigu de la mise en scène (aidé par une direction photo irréprochable de Pierre Cottereau qui joue du fossé entre le Paris gris, automnal, aux images rugueuses et saturées et le Montréal ensoleillé, clair, voire trop lumineux). Le réalisateur, qui sait doser ses effets, ponctue son film de bonnes trouvailles de mise en scène : la marche d’Antoine dans l’aéroport tandis que le focus se fait progressivement sur les enfants trisomiques qu’il croise, ce superbe plan large d’un avion dans le ciel (qui sert également de transition efficace entre les époques), ces apparitions du «bonhomme Beefeater» qui hante Antoine ou encore le plan large d’une jeune Carole déclarant au monde entier son amour pour Antoine sont autant d’exemples d’une mise en scène soignée qui sert bien le propos du film. On déplore cependant le manque d’inventivité quant à l’utilisation presque automatique du champ-contrechamp pour filmer les dialogues : n’y a-t-il pas d’autre moyen de montrer une discussion entre deux personnages ?

Café de Flore aborde les questions d’âme soeur, d’amour mortifère, mais aussi de réincarnation (qu’elle soit réelle ou rêvée, au spectateur de choisir) et, ce faisant, on ne peut taxer le scénario d’invraisemblance dans la mesure où la fiction impose tous les éléments surnaturels; le dénouement de l’intrigue vise d’ailleurs à rendre ce surnaturel comme étant du domaine du possible. Néanmoins, quelque chose cloche durant le film et le problème vient de chez Vallée le monteur et le scénariste : il manque à ce «drame d’amour aux accents épiques» (nouveau genre cinématographique inventé dans le dossier de presse) un véritable souffle qui porterait cette histoire d’amour jusqu’au niveau mythique qu’elle veut atteindre. Dialogues qui tombent souvent à plat (notamment les scènes trop explicatives chez le psychologue), présence inutile d’une voix hors-champ (problème déjà présent dans C.R.A.Z.Y.) qui vient (sur)inscrire le film dans le mythe et la fable, personnages mal (ou peu) dessinés (on pense à Amélie-l’amie-bitch-caricaturale de Carole qui est plaqué là comme un comic relief prévisible), comme si le cinéaste s’était senti obligé d’en rajouter plusieurs couches pour bien faire comprendre au spectateur cette histoire qui n’est, au final, pas si complexe.

De même, si la répétition de certains plans (on pense au rêve de Carole ou aux nombreux souvenirs qui surgissent ici et là) marque bien les diverses obsessions des personnages, le procédé s’essouffle après quelques utilisations et le film manque cruellement de rythme dans la deuxième heure : les fils des deux histoires parallèles tardent à se nouer à l’écran tandis que le spectateur les a, lui, attachés ensemble depuis un moment déjà, grâce aux indices que Vallée donne dans la première moitié (comme les plans repris, mais inversés, dans les deux histoires ou la ressemblance physique entre Jacqueline et Carole). Certaines incohérences de mise en scène agacent également, comme ce choix de ne sous-titrer que certaines des répliques de Laurent, sans qu’elles ne revêtent une importance particulière qui serait à interpréter..

Vouloir relier ces deux histoires d’amour en une même grande épopée amoureuse qui traverse les époques est certes une ambition louable, mais encore faut-il que les deux segments dégagent la même puissance dramatique. Or, si le récit de Jacqueline et Laurent se révèle touchant (notamment grâce à l’excellent travail de Vanessa Paradis et Marin Gerrier), la contrepartie montréalaise piétine et s’embourbe, flirtant parfois avec le quétaine, jusqu’au happy end final où tout un chacun surmonte définitivement ses peurs et angoisses. Sans être un ratage complet, Café de Flore n’est pas le film populaire de qualité— qui pourrait séduire les critiques et le public comme le faisait C.R.A.Z.Y. — qu’on attend toujours en 2011.

La bande-annonce de Café de Flore:


22 septembre 2011