Café Transit
Kambozia Partovi
par Rachel Haller
Être femme et vouloir s’affranchir, c’est buter contre l’irréconciliable oxymore. Du moins dans l’Iran d’aujourd’hui. Pour survivre, il faut donc plier, suivre, accepter. Se mettre sous la tutelle d’une religion, d’une tradition choisis par certains «élus». Bien sûr, les femmes ne sont pas les seules à avoir perdu le droit à l’autodétermination. Mais Kambozia Partovi choisit son camp dans Cafe Transit. Sans doute un peu trop, puisque les hommes du coin y sont presque tous des brutes prêtes au pire pour réaffirmer leur suprématie. Car les coutumes servent ici (et sans doute ailleurs) surtout de paravent à des pulsions moins avouables de jalousie, de rancur, de toute-puissance Pulsions légitimées et libérées dans ce cas grâce au lévirat, une pratique qui veut qu’une veuve et ses enfants deviennent la possession du frère du défunt. Comme dans La cinquième réaction de Tahmineh Milani, la protagoniste refuse de se soumettre, mais sans prendre la fuite cette fois. Au contraire, elle défie le beau-frère et les lois avec une douceur acharnée. Elle rouvre le café de son défunt mari et conquiert son indépendance à la force de ses casseroles. Car, bien évidemment, elle reste sagement à la place qui lui revient, la cuisine.
Le lieu ne désemplit pas, contrairement au restaurant du beau-frère justement : double affront à sa virilité. Quand, en plus, un beau routier grec commence à faire de l’il à la cuisinière, c’est la goutte de trop. Qu’une femme fasse bouillir la marmite, soit. Mais qu’elle ose afficher, même très modestement, une attirance pour un autre homme, ça jamais! Mère ou putain, il faut choisir Comme il faudrait pouvoir opter entre un café-éden et un monde-bagne. Ici, les espaces sont en effet bien délimités. D’un côté (le café), l’ouverture, la tolérance et la douceur de vivre et de l’autre (le reste de la société), le poids du patriarcat, l’injustice et la tristesse. Manichéisme d’ailleurs un peu surprenant de la part du scénariste du Ballon Blanc et du Cercle de Jafar Panahi (ici monteur).
Mais si, dans ce premier film, il pèche pas manque de nuance, Kambozia Partovi partage avec son vieil ami Panahi la même esthétique de l’urgence (certes moins maîtrisée). On n’est plus chez Kiarostami ou Makhmalbaf (père et fille). La beauté et la poésie ne servent plus à transcender le réel. Ici, la caméra est d’abord témoin du drame social, d’abord porte-voix de toutes ces femmes coupables avant tout d’être femme. Il s’agit donc de dénoncer plus que d’exalter. Et là Cafe transit, malgré ses faiblesses, atteint son but. Il sait ériger son personnage féminin en modèle de courage et de générosité. Il sait imposer sa force silencieuse au fil de son combat pour la dignité. L’injustice et la petitesse des Hommes (puisque c’est surtout de ça dont il s’agit) n’en paraissent que plus criantes. Mais comme dans Hors-jeu (toujours Panahi), la défaite n’est pas définitive. Tout système, aussi hermétique soit-il, a ses failles et par là peut passer la lumière.
26 juillet 2007