Critiques

Captain America: The First Avenger

Joe Johnston

par Helen Faradji

Tout ne serait-il donc pas si pourri au royaume d’Hollywood ? Ou bien y’aurait-il aussi chez Marvel et Paramount, comme chez Sony qu’Aaron Sorkin félicitait au moment de recevoir son oscar pour The Social Network, des gens « qui pensent que ceux qui regardent les films sont au moins aussi intelligents que ceux qui les font »?  Reste en tout cas que ce Captain America : The First Avenger, récit énergique et inventif des aventures d’un gamin de Brooklyn transformé en super-soldat en pleine deuxième guerre mondiale, parvient sans peine à se classer dans les rangs des divertissements d’été plus qu’honorables, à consommer sans honte ni plaisir coupable. Ce n’est déjà pas si mal.

C’est que le brave Captain applique à la lettre les commandements d’un cinéma à l’ancienne, commandements qui ont fait leur preuve et que les divagations épileptiques des dernières années émanant de cinéastes en mal de sensations fortes n’ont pas réussi à mettre à terre. Un cinéma d’avant le cynisme, d’avant le dollar-roi, d’avant l’industrialisation. Cadrages élégants, scènes de batailles filmées calmement, à distance, montage équilibré, malgré des longueurs dans le dernier tiers, décors de carton-pâte évacuant le tape-à-l’œil au profit d’une sorte de classe surannée mélangeant art déco et futurisme : tout y est soigné, sans afféterie, sans clairons ni trompettes, juste motivé, on le sent, par le goût du travail bien fait. Aux heures des débauches d’effets tonitruants, il y a bien dans cet artisanat maîtrisé et enthousiasmant quelque chose de super-héroïque.

Captain America est en effet « officiellement » un film de super-héros, prélude à une réunion des Avengers à laquelle nous devrions être invités courant 2012. Mais sous ses oripeaux collantés, il est aussi un film de guerre classique, infusé au grand cinéma de divertissement populaire. Car le système de référence organisé par le surprenant Joe Johnston (The Rocketeer mais aussi The Wolfman) est clair : bien plus Indiana Jones (auquel les emprunts ne se comptent plus) que Batman. Bien plus Star Wars que Four Fantastics. Bien plus James Bond que Spider-Man. Bien plus comics, avec leur touche pulp, qu’adaptations ciné. Avec des clins d’oeil de-ci, de-là à Kiss Me Deadly, Gangs of New York, Inglorious Basterds ou Robocop pour quadrupler l’amusement.

Et puis il y a encore cette naïveté, ce premier degré touchant. Les bons et les méchants (Hugo Weaving, dans un numéro à la Christoph Waltz, la sophistication sadique en moins, la folie sanguinaire en plus) clairement identifiés, sans trouble possible. Cette carrure d’athlète blond comme les blés, nourri au bon grain de Chris Evans, parfaitement convaincant dans ce rôle d’icône américaine. Ces valeurs vintage auxquelles on reprend plaisir à croire le temps d’une projection (la guerre ne se gagne pas par les armes, mais grâce aux hommes, la ruse vaut toujours mieux que la force, le courage est la dignité du combattant…). Ces combats et poursuite à pied plutôt que noyés sous les éclairs des explosions et que l’on imaginerait bien accompagnés de « pif, paf, boum ». Ces couleurs ocres, passées. Cette héroïne brune et piquante (l’Anglaise Hayley Atwell, mélange de fausse ingénuité à la Ginger Rogers et de sensualité dominatrice à la Jane Russell), sorte d’incarnation bien en chair de l’emblématique We Can Do It. Ce patriotisme de pacotille dont l’on se moque allégrement lorsque le Captain est embrigadé, faute de mieux, par un publicitaire pour devenir le poster boy de la guerre. Et ce voile d’attachante candeur qui se déchire par à-coups réguliers pour mieux nous laisser savourer cette pique lucide dans les flancs de l’Amérique contemporaine : cet héroïsme, ce sens du sacrifice, cette toute-puissance yankee sont bel et bien regardés dans le rétroviseur, avec nostalgie. Comme si tout cela ne pouvait plus que se conjuguer au passé et qu’il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus.


28 juillet 2011