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Critiques

Caramel

Nadine Labaki

par Gérard Grugeau

Rares sont les comédies qui nous parviennent d’un Liban meurtri par la guerre. Après les documentaires de Mai Masri (Beyrouth : vérités, mensonges et vidéo), les œoeuvres graves de Danielle Arbid (Dans les champs de bataille, Un homme perdu) et le très beau A Perfect Day de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige présenté au Festival du Nouveau Cinéma en 2005, le premier long métrage lumineux de Nadine Labaki offre un autre visage de la réalité libanaise. Les femmes en occupent la place centrale puisque l’action tourne autour d’un institut de beauté qui n’est pas s’en rappeler le Vénus Beauté de Tonie Marshall. Sous la caméra chaude et sensuelle de la cinéaste, cet espace de liberté riche en intrigues sentimentales devient le microcosme d’une société fortement occidentalisée qui cherche sa voie entre tradition et modernité. Caramel plonge avec un mélange de légereté et de gravité au coeœur de l’identité féminine et des rapports amoureux encore sous le joug d’archaïsmes lestés de culpabilité. Le film se risque, timidement mais sûrement, sur le terrain des tabous : un homme – policier de surcroît – transgresse et pénètre par amour dans l’antre des femmes; une veuve songe à refaire sa vie; avec pudeur, l’homosexualité féminine affiche tendrement ses couleurs. Nul doute qu’avec son charme empreint de douce dérision et sa joie de vivre contagieuse, Caramel trouvera son public, au Moyen Orient et ailleurs. Les acteurs non professionnels, qui forment une galerie de personnages colorés, donnent certes au film un supplément de vérité et d’âme, mais on déplorera la facture peu audacieuse de la mise en scène qui manque de respiration. Tourné avant la deuxième guerre du Liban (2006) et les affrontements actuels, le film a soudain semblé quelque peu dérisoire à sa réalisatrice face aux nouvelles blessures que subit son pays. Là-dessus, on peut la rassurer. Caramel n’a rien de la comédie lourde et vulgaire, coupée du réel. S’y déploie avant tout l’image d’une société en mutation, avide de vivre ses déchirements intimes au grand jour.

 


11 octobre 2007