Critiques

Cave of Forgotten Dreams

Werner Herzog

par Marcel Jean

La 3D, le relief, la stéréoscopie — appelons-ça comme vous le voulez — est le sujet de l’heure de l’actualité cinématographique. Tendance lourde préparant le terrain du cinéma holographique, simple effet de mode destiné à revitaliser une industrie cinématographique mal en point, ou ballon commercial qui se dégonfle à vitesse grand V, la 3D  est en tout cas au coeur des débats. On a eu droit aux films d’animation en 3D, aux films de science-fiction, aux films d’action et de superhéros… On a même eu droit à U2 3D… Voici maintenant qu’arrivent les documentaires! Présenté en première mondiale au dernier festival de Toronto, Cave of Forgotten Dreams de Werner Herzog transporte les spectateurs au coeur de la grotte Chauvet, dont la découverte récente (1994) a bouleversé les idées généralement admises sur l’art préhistorique. Le film a précédé de six mois le lancement de Pina, que Wim Wenders a consacré à la chorégraphe Pina Bausch et dont la première a eu lieu à Berlin en février.

Voici donc deux documentaires en relief réalisés par deux icônes du jeune cinéma allemand de la décennie 1970. Si Wenders est depuis devenu la mascotte du cinéma international de qualité, Werner Herzog s’est quant à lui mué en cinéaste inclassable, aussi à l’aise du côté du documentaire (The White Diamond; Grizzly Man) que du côté du cinéma américain indépendant (My Son, My Son, What Have Ye Done; The Bad Lieutenant: Port of Call, New Orleans). Deux preuves que le cinéma allemand n’existe à peu près plus…

S’il faudra attendre jusqu’en décembre pour que Pina prenne l’affiche sur nos écrans (à moins qu’un de nos festivals ne le déflore avant ça), Cave of Forgotten Dreams sort cette semaine, au milieu des blockbusters de l’été, comme un refuge cinéphilique dans l’oeil de l’ouragan commercial. Fascinant, le film a le mérite de proposer une réponse à la question de la pertinence du relief dans le documentaire. Herzog, en effet, avoue lui-même ne pas être amateur de films en 3D. Pourtant, au moment d’envisager le tournage de Cave of Forgotten Dreams, il en est rapidement venu à la conclusion que la 3D était nécessaire. Pourquoi? Simplement parce qu’il s’agit d’un film sur un espace. Un espace inaccessible au commun des mortels : la grotte Chauvet, qui se trouve dans l’Ardèche et qui contient plus de 400 représentations rupestres parfaitement conservées, est d’une telle importance scientifique que son accès est sévèrement contrôlé. Grâce à la 3D, Herzog nous donne donc un accès virtuel à ce lieu fascinant, à ses splendeurs paléontologiques, artistiques et spéléologiques. Sur ce plan, Cave of Forgotten Dreams est parfaitement convaincant, l’expérience de l’espace étant ici d’une remarquable richesse : succession des peintures sur les parois irrégulières de la grotte, mise en relation des éléments rapprochés avec ceux situés plus loin (comme ce corps de femme qui s’unit avec ce corps de bison), sidérante beauté des concrétions minérales et, surtout, oscillations de la lumière, éclairage vacillant résultant de l’utilisation de quatre lampes froides dont la luminosité incertaine rappelle avec émotion le feu des torches des hommes de l’époque aurignacienne, il y a près de 40 000 ans.

La réussite de Cave of Forgotten Dreams tient à cette expérience inédite, à cette puissante sensation de déambulation le long des parois de pierre, à l’émerveillement qui découle du simple fait d’épouser le regard des hommes préhistoriques. Moment d’intimité avec l’origine de l’humanité, moment de spiritualité, aussi, qu’Herzog magnifie (allant jusqu’à l’insistance) par l’utilisation (parfois trop) généreuse de la musique d’Ernst Reijseger. Réussite qui doit aussi au commentaire, lu par le cinéaste lui-même d’une voix fébrile. Car Herzog apparait ici en homme comblé, lui qui entre fréquemment dans le cadre — l’exiguïté du passage oblige le caméraman a filmer les autres membres de l’équipe — une lampe à la main, dissimulant mal son excitation face à la splendeur du lieu.

L’utilisation du 3D n’a toutefois pas le même impact lors des séquences tournées à l’extérieur de la grotte. Car si les quelques entrevues avec des experts ou des conservateurs de musée se justifient du point de vue du propos et de la réflexion, elles n’ont cependant pas la même cohérence cinématographique : là, le relief devient un gadget au mieux encombrant, au pire générateur d’un réel inconfort physique. D’où l’exposé éloquent — quoiqu’involontaire — que finit par nous offrir le film sur les avantages et les limites du relief en documentaire.

Depuis 40 ans, le cinéma de Werner Herzog est marqué par l’excentricité, par son lien avec la nature et par une idée très forte de la performance. On se rappelle les expéditions d’Aguirre, la colère de Dieu dans la jungle amazonienne, le bateau gravissant la montagne de Fitzcarraldo ou encore les centaines de rats se promenant sur la place de Delft dans Nosferatu. Cave of Forgotten Dreams s’inscrit dans cette conception vertigineuse du cinéma qui renvoie l’humanité à quelque chose de plus large, de plus grand qu’elle. Un cinéma de la démesure et du risque où la folie n’est jamais loin. C’est ainsi que Werner Herzog termine Cave of Forgotten Dreams au milieu d’alligators albinos se baignant dans des bassins remplis d’eau ayant servi à refroidir des réacteurs nucléaires. Épilogue énigmatique et inquiétant qui dit la fragilité de la vie et la force des éléments.

 


14 juillet 2011