Changeling
Clint Eastwood
par Philippe Gajan
Changeling est en apparence un drame social à la sauce hollywoodienne, un fait-divers promu au rang de leçon de société. En apparence seulement, comme si souvent chez Eastwood.
Changeling n’a pas forcément été très bien reçu, ni lors de sa présentation officielle à Cannes, ni lors de ses sorties en salles subséquentes. C’est qu’il y avait un malaise (entendre une perte de repères). Tout d’abord, un film de Clint sans Clint, ce n’est pas tout à fait un film de Clint (rappelons-nous la fraîcheur de l’accueil du pourtant excellent Midnight in the Garden of Good and Evil). Il y eut bien l’exception de son projet atypique sur Iwo Jima, ou encore Mystic River (son précédent film en compétition à Cannes), mais dans ce dernier cas ils s’étaient mis à trois pour le remplacer : Sean Penn, Tim Robbins et Kevin Bacon. Alors que pour Changeling, c’est sur les épaules de la «frèle» Angelina Jolie que reposait le fardeau. Angelina Jolie… On avait du mal à imaginer la star hollywoodienne à l’image rebelle dans un classique eastwoodien. Bref, sur le papier, le projet intriguait pour ne pas dire qu’il rendait dubitatif. Angelina Jolie en mère courage affrontant la corruption endémique de la cité des anges des années 20 qui lui a pris son fils pour lui rendre un autre, décidément il fallait être sacrément gonflé pour y croire. Certains eurent d’ailleurs tôt fait de dire que ce n’était pas vraiment un film d’Eastwood…
Pourtant, à bien y regarder, le véritable malaise se situait ailleurs, plus exactement dans l’exercice de reconstitution du Los Angeles des années 20. Car à l’écran, Eastwood semble filmer la reconstitution, en faire l’un des enjeux mêmes du film : une esthétique un peu trop lisse, des voitures un peu trop bien garées dans des rues curieusement désertées, un scénario qui «grince» un peu, jusqu’à la beauté de l’actrice qui ne «cadre» pas tout à fait. De fait, Changeling n’est pas tant un grand film hollywoodien sur la corruption, la reconstitution d’un fait divers édifiant dont l’usine à rêves a le secret, qu’un exercice de reconstitution, qu’un film musée dont le premier désir serait de montrer ses collections. Et c’est en acceptant ce cadre de réflexion comme proposition de départ que le film devient alors très intéressant.
À tout prendre d’ailleurs, l’exercice est amusant, voire enrichissant. Si Eastwood, l’acteur, a certainement pris beaucoup de plaisir (gamin va !) à jouer dans Gran Torino, Eastwood le réal semble s’être régalé à aligner ses prouesses de mise en scène dans Changeling. On est maintenant habitué à la capacité du cinéaste à se lover dans les genres les plus divers pour les retravailler de l’intérieur afin de mettre à mal les mythes qui en constituent les soubassements (Ah, Unforgiven, western de tous les westerns). Pour Changeling, on a droit à un feu d’artifice, un véritable catalogue des genres hollywoodiens, du film de prétoire au film de serial killer, en passant par le film psychiatrique ou le drame social. Eastwood aligne les films dans le film, comme autant d’exercices de genres, en imperturbable métronome qu’il est.
Alors la question devient : à quoi bon ? D’abord, parce que quand c’est bien fait, c’est jouissif, c’est une véritable visite dans une sorte de parc d’amusement du cinéma et ça fait du bien, avec tous les jeux de référence croisées (tiens ça me rappelle…). Ensuite, parce que finalement, il y a bien un autre enjeu au fait de se rallier à ce défilement d’exercices de style. Et ce ralliement nous permettra de boucler la boucle au sujet du malaise initial. Si l’on veut bien se donner la peine d’accepter la proposition initiale, Angelina Jolie devient ici un Clint Eastwood au féminin. Attention, pas un Clint Eastwood travesti en femme, mais bien au féminin. C’est dire qu’à partir d’une figure mythique commune à quasiment tous les films de Eastwood, celle du justicier solitaire aux méthodes parfois peu orthodoxes, Changeling tente une véritable réponse au féminin… Et ça aussi, c’est loin d’être inintéressant car les outils de la justicière ne sont pas les mêmes que ceux du justicier.
19 février 2009