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Critiques

Che

Steven Soderbergh

par Juliette Ruer

Pour parler de ce film étrange, il faut parler de temps. Temps qui passe, mais d’abord temps que l’on passe, spectateurs, assis dans le fauteuil à le regarder. Plus de 4 heures. En partant, c’est ce long format qui surprend. Que Che Guevara ait pu générer assez de passion pour soutenir un projet cinéma pensé pendant 7 ans, on peut le concevoir; que cela aboutisse à un diptyque pour parler de tactique paramilitaire suppose que l’on ait du souffle. Ou que l’on aime jouer aux petits soldats.

Car il s’agit surtout de cela. Aux commandes, Steven Soderbergh va, et de très loin, survoler la vie de l’homme, son caractère et son destin. Il va surtout s’appesantir sur la vie des guérilleros dans les sierras cubaines puis boliviennes, leurs campements, leurs stratégies d’attaque; toutes les étapes, de l’enrôlement au maniement d’armes, de la hiérarchie aux batailles, de la discipline aux soins des blessés.

En jouant ainsi à déplacer ses pions, le cinéaste construit bien sûr une grande image en filigrane, où l’on effleure les événements historiques majeurs de cette partie du monde (on verra le sourire contrit de Batista, les mimiques de Fidel, le speech à l’ONU), et à travers laquelle on comprend vite qu’il ne s’agit pas d’un film sur l’homme, mais sur la mise en pratique d’un concept politique, du mécanisme de la guérilla. Que la révolution soit gagnante dans le premier film ou qu’elle soit perdante dans le second, une constance se dégage : vouloir la révolution, c’est s’armer de patience. D’où cette notion de temps si importante. Pas que les minutes qui s’égrènent soient harassantes, au contraire. L’ensemble de ces deux films est plutôt hypnotisant.

Or c’est dans cette structure très pragmatique et dans cette vision très conceptuelle des conflits, que va « vivre » le personnage de Che Guevara. Et de lui, on ne saura rien d’autre que ce que l’on sait déjà. Les pro-Che vont continuer à aimer l’icône idéale de la Révolution et les anti-Che conserveront l’image du mercenaire extrémiste qui, entre la gloire à Cuba et la défaite en Bolivie offrait de libérer les peuples au Congo et en Mozambique. Du Che incarné (superbement, quoi d’autre?) par Benicio Del Toro, on découvre un personnage composite, sans passé ni contexte : il est argentin, asthmatique, médecin, père de 5 enfants, baroudeur, sévère, charismatique et intellectuel. Un portrait détaché, par petites touches, que l’on perçoit presque par hasard, comme tout le reste.

D’où l’impression générale d’impassibilité, comme une certaine froideur de l’auteur à son sujet. Aurions-nous aimé un point de vue ? Une prise de position ? Plus de calor? Habitués que nous sommes à être orientés, ce ne serait pas étonnant. Mais s’il ne faut pas oublier que Soderbergh s’amuse avec les Ocean Eleven et les Out of Sight, il est surtout l’auteur plus cérébral de Solaris, de The Limey, de Traffic, de Kafka, de Sex, Lies and Videotape. Sous cet éclairage, il ne faudrait pas oublier qu’Erin Brockovich avait une charge émotive anormalement élevée…


19 février 2009