Children of Men
Alfonso Cuaron
par Helen Faradji
…Et s’il ressemble à celui dépeint par Alfonso Cuarón dans Children of Men, l’on ferait mieux de s’y préparer dès maintenant.
Plantons le décor. Nous sommes en 2027. Le ciel n’a jamais été aussi gris et après la subite et inexplicable stérilité des femmes, le monde n’est plus qu’un dépotoir à ciel ouvert dans lequel le désespoir dispute le haut du panier à l’intolérance totalitariste. Des camps de réfugiés ressemblant à s’y mépendre à la prison d’Abou Ghraib ou au ghetto de Varsovie poussent comme des champignons. Bien malgré lui et hanté par un traumatisme gros comme le bras, bref comme tout anti-héros bogartien qui se respecte, un homme (absolument parfait Clive Owen) est chargé de protéger une jeune femme, première créature enceinte depuis 18 ans.
Ce décor si poisseux, cette aventure si traumatique, ce sont ceux de Children of Men, nouvelle réalisation du mexicain Alfonso Cuarón à qui tous les lauriers faussement donnés à son comparse Iñárritu (Babel) devraient bien plus légitimement revenir.
Car Cuarón, tranquille dans son coin, a bâti le plus intéressant des parcours en ces quelques années. Après quelques hollywooderies et un détour par la télé, il réalise en effet en 2001 son premier film en espagnol, sa langue natale. Grand bien lui en prend, le résultat chaud bouillant s’appelle Y tu mamá también et le place directement dans la catégorie des regards neufs. L’air de rien, c’est alors le troisième épisode des aventures du magicien binoclard, Harry Potter, sur lequel il appose sa patte entremêlée de gothisme bon ton et d’expressionnisme pur jus. Un style est né.
Arrive maintenant ce Children of Men, adapté d’une nouvelle de celle que nombre de plumes trop enclines à la facilité aiment à appeler « la reine du suspense », P.D. James. Non. P.D. James n’est pas la reine du suspense. Elle est plutôt l’impératrice du désespoir à en juger par ce récit sombre, plombant, terrifiant. Dans un monde où l’espoir est mort, où la vie n’a plus aucune valeur (l’équation est simplissime : plus de bébés=plus de civilisation), il ne faut pas plus de 15 secondes pour que l’homme retrouve sa nature profonde, celle d’un loup pour les autres hommes, à la sauvagerie d’une violence inouïe.
D’autant plus terrifiante, cette idée, en réalité, qu’elle se situe dans une toute petite vingtaine d’années et ne se fonde pas sur quelques prédictions farfelues ou théories fumeuses. Non. Ici, ce sera davantage une bonne vieille anticipation à l’ancienne, de celle dont Orwell savait nous gaver, au réalisme saisissant. Une anticipation soigneusement chaotique aussi, dans laquelle rien n’échappe à l’implacable mécanique du pire. Télévision partout, fascisme latent, climat ruiné, haine des autres portée à son incandescence, bref une société du futur d’où ne surgit aucune amélioration et dont nous sommes exactement en train de planter les graines en ce moment.
Mais ce glaçant récit ne serait rien sans la touche Cuarón. Mettant son style nerveux sans être emphatique, soigné sans être complaisant au service de son histoire plutôt qu’à celui de sa gloriole personnelle, le cinéaste accompagne chaque mouvement d’un regard diablement pessimiste où le gris et le brun rivalisent de nuances. Mariant au rétro-futurisme des décors plus vrais que nature un sens du réalisme méticuleux qui fait réellement froid dans le dos en nous promettant des lendemains qui déchantent salement, plongé dans une photographie pesante et prenante et mis en scène avec un sens du rythme aussi parfait qu’angoissant et un art du plan-séquence particulièrement consommé, Children of Men est largement à la hauteur de tous les compliments qu’on a bien voulu lui faire. P.D. James et Alfonso Cuarón sont deux oiseaux de malheur qu’on ferait mieux d’écouter. Sous peine de gueule de bois sévère.
28 mars 2007