Codebarre.tv
par Damien Detcheberry
Voici un site interactif qui fera plaisir à Philippe Delerm, célèbre auteur de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, et flattera son goût du « minimalisme positif » : la chaîne française ARTE et l’Office national du film du Canada (ONF) ont mis leurs forces en commun pour créer codebarre.tv, un projet présenté à la fois sous forme de site Internet et d’application iPhone. « Une fois en ligne, nous explique le communiqué, l’internaute est invité à choisir un objet et à l’examiner à l’aide de trois fonctions : chercher, scanner et raconter. Écrire le nom de l’objet ou scanner son code-barres déclenchera un des 100 courts métrages qui présentent des perspectives inattendues. »
En hommage à Philippe Delerm, tapons justement le mot « bière » dans le module de recherche. Le résultat indique que ce mot appartient à la catégorie « communications »… Pourquoi pas… Une vidéo démarre quelques secondes plus tard, et laisse cependant découvrir un premier court métrage (bien) nommé, Alcool, de Geoffrey Boulangé. Très amusant, le film recueille les impressions d’une petite fille qui se saoule à la force centrifuge d’un tourniquet. Essayons avec un autre mot : « souris », qui semble appartenir lui aussi, avec plus de pertinence (si l’on considère, non pas l’animal, mais l’accessoire informatique) à la catégorie « communications ». Le cinéaste Diego Briceño interroge de très jeunes enfants sur leur compréhension de l’utilisation des ordinateurs par les adultes.
Rapidement, il faut bien l’avouer, le regard s’égare, car on cherche autour de soi les objets les plus pertinents ou les plus insolites susceptibles de titiller le programme. Il suffit donc de peu pour être happé par le caractère ludique des vidéos, mises en avant par l’aspect à la fois sobre et avenant de la plate-forme. À la fin de chaque court métrage, le site offre des alternatives judicieuses à la recherche par mots clefs, notamment un visionnement « au hasard » qui devient pratique lorsque l’on habite dans un environnement spartiate et que l’essentiel des appareils ménagers et du contenu des poches de jeans a été passé en revue. On assiste alors à un joyeux inventaire à la Prévert : sur un air de la Bolduc, des inconnues vident leur sac, un homme tente de comprendre la notice d’une boite de pilules contraceptives sous l’il inquisiteur de sa compagne cinéaste, une poubelle retournée laisse entrevoir les restes d’un amour déçu, des pinces à linge forniquent… Sans jamais entrer dans l’exercice prétentieux, codebarre.tv est un projet-mosaïque où chaque pièce sert à définir un peu plus notre rapport au monde matérialiste, en proposant des approches variées allant de l’anecdote documentaire (Appareil dentaire, de Cécile Mille ; Clefs, d’Étienne Chaillou et Mathias Théry) à l’expérimentation (Lunettes, de Yan Giroux ; Lait, de Bonnie Holloway, Crème solaire, de Sophie Deraspe).
Une partie du site est d’ailleurs consacrée à l’apport des internautes, la fonction « Raconter » permettant à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice. Sous forme de blogue, de diaporama de photos personnelles, les histoires commencent déjà à s’accumuler. C’est peut-être ce qu’il y a de plus réjouissant dans cette entreprise, lorsque l’on passe de l’univers joliment contrôlé des courts métrages de commande à cet espace ouvert à tous, autrement plus foutraque : de l’inventaire de Prévert pépère on passe à une Rubrique-à-brac digne des bandes dessinées de Gotlib. Chacun y va de son cliché, de son histoire… On y trouve une photo de Carlos (le chanteur rondouillard, par le terroriste) postée là par un nostalgique du chanteur d’Oasis (la boisson, pas le groupe anglais), le crayon du cinéaste Théodore Ushev, un Rubik’s Cube qui permet de voyager dans l’espace En ouvrant ainsi sa porte aux internautes, codebarre.tv ose le capharnaüm. Belle initiative ! Si le site ne permet pas encore cela, on attend avec curiosité les vidéos personnelles, les contributions d’amateurs qui transformeront la partie ouverte du site en youtube animiste. Du 12 au 18 novembre, Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal invitent d’ailleurs le public à créer 14 histoires d’objets supplémentaires qui seront intégrées au site. De quoi lancer des pistes pour d’autres événements, et ajouter un peu plus de « baz-art » dans l’espace bien ordonné des sites institutionnels.
10 novembre 2011