Coffret Pierre Hébert
Pierre Hébert
par Marco De Blois
Depuis quelques années, l’ONF puise dans son patrimoine pour produire des DVD de films d’animation qui ont aussi la particularité d’être de très beaux objets. Après la compilation de films abstraits Matière vive et la monumentale intégrale Norman McLaren, l’organisme vient de lancer un étonnant coffret, au design unique, consacré à Pierre Hébert. La science des images animées propose un survol de plus de quarante ans de carrière, regroupant aussi bien des films de l’ONF que la production indépendante récente. L’édition fait honneur à la démarche atypique de ce réalisateur à l’uvre foisonnante.
À ses débuts, l’uvre de Pierre Hébert, presque entièrement abstraite, témoigne de l’influence des grands maîtres de l’animation sans caméra (Norman McLaren, Len Lye) tout en se montrant esthétiquement proche de l’avant-garde des années 1960 par ses expérimentations sur l’optique. Dans les années 1970, le cinéaste commence à travailler la figuration, signant d’abord la trilogie brechtienne composée de Père Noël ! Père Noël ! (1974), Entre chiens et loup (1978) et Souvenirs de guerre (1982) dans laquelle il intègre la technique des éléments découpés. Les deux derniers films, qui n’ont pas perdu leur force d’émotion, sont portés par l’esprit militant de l’époque.
Dire de Pierre Hébert qu’il est cinéaste d’animation ne correspond pas tout à fait à la réalité. En effet, depuis Souvenirs de guerre, Hébert s’est progressivement déplacé vers la périphérie du monde de l’animation. Il faut savoir que le rejet de Souvenirs de guerre de la compétition officielle du festival d’Annecy a eu comme conséquence de déclencher une réflexion qui allait mener son travail vers d’autres pistes. Les performances de gravure sur pellicule en direct sont apparues à cette époque. Également, Hébert s’est longtemps employé à « briser l’effet de fantasmagorie » (ce sont ces mots) propre à l’animation. Or, le fait de repousser des valeurs comme la fluidité, la continuité et la virtuosité a conduit une certaine arrière-garde à accueillir son uvre avec une bonne dose d’incompréhension.
Les réalisations suivantes, jusqu’au long métrage La plante humaine (1996), découlent souvent de performances interdisciplinaires réunissant d’autres artistes. L’uvre devient alors hybride, protéiforme, affichant de ce fait une grande impureté. Sur ce point, il faut préciser que l’apport de Robert Marcel Lepage et la mouvance de la musique actuelle ont profondément marqué le travail de Hébert. Depuis son départ de l’ONF en 1999, le cinéaste emprunte d’autres avenues et renoue avec l’abstraction. Il délaisse l’argentique pour le numérique, proposant des oeuvres d’une esthétique nouvelle, sorte de mariage entre la technologie et la poésie reposant parfois sur la dématérialisation d’une image prise dans le réel (Variation sur deux photographies de Tina Modotti, 2005, La statua di Giordano Bruno, 2005).
Le livret inséré dans le coffret offre des textes éclairants de Marcel Jean, d’Olivier Asselin et de Robert Daudelin, de même qu’une filmographie, une bibliographie et une liste des spectacles musicaux qu’a donnés Hébert, le tout accompagné d’explications. Il manque, dans cette quasi-intégrale, deux courts films de jeunesse, quelques oeuvres de commande ou collectives, de même que Tableaux d’une surexposition (1986) et Between Science and Garbage (2003). Alors que ce dernier peut être trouvé en DVD, il faut s’attrister de l’absence d’Ô Picasso, des complications bureaucratiques ayant mené l’ONF à retirer ce film.
Le coffret contient toutefois un bonus extraordinaire, et il s’agit peut-être là d’une première dans l’histoire de l’édition DVD. En 1966, le trio d’Ornette Coleman faisait un saut à l’ONF pour ajouter de la musique aux images du film didactique Explosion démographique. Cette session d’enregistrement est reproduite dans sa totalité sur un CD accompagnant les trois DVD. Cette formidable initiative permet de documenter le processus créatif d’un des grands musiciens de jazz de notre époque tout en comblant les mélomanes et les cinéphiles.
25 octobre 2007